Montaigne orne les poutres de sa bibliothèque de
maximes, en latin ou en grec, d'auteurs anciens. Une seule est en français : «
Que sais-je ? ». Sur la poutre la plus proche de son écritoire, l’adage latin
de Térence : « Je suis homme et crois que rien d’humain ne m’est étranger. »
LICEO
CLASSICO “E. CAIROLI” VARESE
SEZIONE
ESABAC
BAC
BLANC
Prova
di: LINGUA E LETTERATURA FRANCESE
Commentaire dirigé I D
J'ai la complexion du corps libre, et le goût commun
autant qu'homme du monde.
La
diversité des façons d'une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la
variété. Chaque usage a sa raison. Soient des assiettes d'étain, de bois, de
terre: bouilli ou rôti: beurre ou huile de noix ou d'olive: chaud ou froid,
tout m'est un: et si un que vieillissant, j'accuse (1) cette généreuse faculté
et aurais besoin que la délicatesse et le choix arrêtât l'indiscrétion(2) de
mon appétit et parfois soulageât(3) mon estomac.
Quand
j'ai été ailleurs qu'en France, et que, pour me faire courtoisie, on m'a
demandé si je voulais être servi à la française, je m'en suis moqué et me suis
toujours jeté aux tables les plus épaisses (4) d'étrangers.
J'ai
honte de voir nos hommes (5) enivrés de cette sotte humeur de s'effaroucher(6)
des formes contraires aux leurs: il leur semble être hors de leur élément quand
ils sont hors de leur village.
Où
qu'ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent(7) les étrangères.
Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure: les
voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs
barbares qu'ils voient. Pourquoi non barbares, puisqu'elles ne sont françaises?
Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire. La
plupart ne prennent l'aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et
resserrés d'une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la
contagion d'un air inconnu.
Ce
que je dis de ceux-là me rappelle, dans un domaine semblable, ce que j'ai
parfois observé chez quelques-uns de nos jeunes courtisans. Ils ne s’attachent
qu'aux hommes de leur sorte, et nous regardent comme des gens de l'autre monde,
avec dédain ou pitié. Otez-leur les entretiens sur les mystères de la cour, ils
sont hors de leur domaine, aussi niais pour nous et malhabiles que nous pour
eux. On dit vrai qu' « un honnête homme c'est un homme mêlé (8)».
Au rebours, je pérégrine très saoul de nos façons, non
pour chercher des Gascons en Sicile (j'en ai assez laissé au logis): je cherche
des Grecs plutôt, et des Persans: j'accointe ceux-là, je les considère: c'est
là où je me prête et où je m'emploie. Et qui plus est, il me semble que je n'ai
rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres. Je couche de peu, car à
peine ai-je perdu mes girouettes de vue.
1)J'accentue 2)avidité, manque de retenue
3)apaiser, réconforter 4)pleines, où les étrangers sont les plus nombreux 5)Les
Français 6)inquiéter, choquer 7)détester, abhorrer, avoir l'aversion pour 8) Un
homme mêlé est un homme qui fait preuve d'une ouverture d'esprit, qui refuse
toute sorte de préjugés et le conformisme intellectuel curieux de tout,
ouvert
Montaigne Les Essais ,
Livre III (1588)
COMPREHENSION
1)
Retrouvez les 2
pronoms qui s’opposent dans ce passage et expliquez à qui ils font
référence.
2)
Montaigne est
présent dans son texte. Quelle image de lui-même donne-t-il ? Par quels traits se singularise-t-il ?
INTERPRETATION
1) Montaigne s’emporte
contre les voyageurs qui se replient sur eux même. Quelles critiques fait-il ?
2) La cour est un
monde clos. Quels traits rapprochent les courtisans des voyageurs ?
REFLEXION PERSONNELLE
Montaigne
fait ici l'apologie de la diversité. En vous appuyant aussi sur vos
lectures, vous discuterez cette
affirmation « un honnête homme, c'est un homme mêlé »(8) ( 15 lignes – 150 mots)
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