Voici l'excellent travail de
Maddalena Andreoli de II D ESABAC
que je vous invite à lire
"L'image de soi dans les Mémoires"Puis-je parler de "mémoires" dans chaque cas (essai, roman, récit n'importe) où le narrateur est au milieu de la scène et parle à la première personne? Bien sûr que non: cela dépend principalement de l'image que le narrateur a de lui-même. Vittorio Alfieri le dit fort clairement dans son autobiographie, Vita scritta da esso: «Quel dono cioè [l'amore di sé], che la natura in maggiore o minor dose concede agli uomini tutti, ed in soverchia dose agli scrittori».
L'amour de soi est donc la raison principale qui pousse Alfieri à écrire ses mémoires, et en effet la plupart des documents (qui son tous des incipit) contiennent le pronom personnel "je": «Je suis descendu», «Je forme une entreprise», «C'est moi que je peins». C'est donc une grande (même hypertrophique puisqu'il s'agit d'écrivains qui l'ont «in soverchia dose, principalissimamente poi ai poeti») considération de soi-même à mener l'auteur ou le narrateur à écrire son histoire: mais ce n'est pas le cas par exemple du "Grand Meaulnes" de Alain Fournier ou de "Il barone rampante" de Italo Calvino, où le narrateur semble disparaître (dans "il barone rampante" il n'a point de nom) par rapport aux autres personnages, il n'importe pas qu'il soit interne à la narration.
Qu'est-ce que les Mémoires donc? Qu'est-ce qui rend un récit autobiographique ou pas?
La première personne est fondamentale, mais nous avons apuré qu'elle n'implique nécessairement qu'il s'agit d'une autobiographie.
Peut-être la conscience? Qu'il s’agisse d’ Hadrien, ou bien de Jean-Jacques Rousseau ou de Montaigne, tous savent parfaitement quel est leur rôle et quel est leur nom: Marguerite Yourcenar écrit «il est difficile de rester empereur en présence d'un médecin». Rousseau de l'autre côté ne publie pas seulement les Confessions, mais aussi les Dialogues, qui sont connus sous le nom de "Rousseau juge de Jean-Jacques". Montaigne se congédie en signant "de Montaigne".
Cette conscience est la cause de l'écriture: «Je me suis montré tel que je fus» (Rousseau). Mais la conscience n'est pas seulement cela: elle est aussi la véritable conséquence de l'écriture, qui donne aux auteurs les moyens et l'occasion de la réflexion intime. Or, elle permet au protagoniste de se peindre comme il se voit, «en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice» (Montaigne).
Par exemple, dans les Confessions, à l'occasion de la rencontre avec Mme de Warens, Rousseau décrit avec une grande attention en particulier son aspect physique quand il avait seize ans.
Toutefois, les détails les plus importants sont, dans des mémoires, ceux qui concernent l'intériorité, plutôt que le corps (qui est «mieux connu de moi que mon âme», selon M. Yourcenar): l'esprit n'est pas connu aux autres que d'une façon superficielle, et il est ce qui permet la connaissance profonde et complète du personnage; il faut approfondir "intus et in cute" (Persio Flacco). C'est pourquoi Montaigne écrit: «… je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu»: c'est le cœur qui doit être mis à nu.
Au même temps, une description personnelle de notre propre âme ne peut être complètement objective: il ne faut pas oublier que Rousseau écrit son ouvrage pour se justifier devant les autres (non seulement Dieu), et il est presque impossible qu'il soit totalement honnête: «j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être…» (Toutefois, ce n'est pas le cas de Mémoires d'Hadrien, car Marguerite Yourcenar écrit une "fausse" autobiographie, et nous connaissons la vie d'Hadrien à travers le philtre moderne de ses yeux).
Qu'est-ce que les mémoires enfin? Ils sont comme l'autoportrait de Johannes Gumpp, qui peint lui-même en train de se peindre en s'aidant d'un miroir qui le reflète. Ils sont donc un point de vu, ils sont souvent une apologie ou un persiflage, ils sont la subjectivité d'une vie vécue et ainsi racontée.
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