Ce
poème d’Aragon rappelle la mort du groupe Manouchian,
résistants fusillés par les Allemands à
la fin de la deuxième guerre mondiale.
Ce soir j'ai eu la chance de suivre l'émission La Grande Librairie avec Robert Badinter, ancien ministre de la Justice, rappelons la proposition d'abolition de la peine de mort adoptée par l'Assemblée Nationale le 18 septembre 1981, invité pour son dernier ouvrage "IDIS"
Témoignage émouvant et éminemment lucide de Badinter
Il m'a fallu longtemps pour comprendre les raisons qui
m'ont poussé à écrire ce livre. Il ne s'agit ni d'un projet de Mémoires, ni
d'une biographie exhaustive sur la vie à la fois romanesque et tragique
d'Idiss. C'est un geste. Un geste vers mon enfance d'abord, et un geste vers
mes parents ensuite. J'ai compris à ce moment-là - ce qui n'est pas sans
enseignement pour notre époque - que le fait de pouvoir se dire "j'ai eu
des gens bien comme parents" est un grand réconfort dans la vie.
(d'après l'interview de l'Express)
et pendant l'émission le souvenir de ce magnifique poème de Louis Aragon est venu rappeler lo rôle de la mémoire et de la littérature , le devoir de ne pas oublier les Martyrs de la Résistance
Strophes pour se souvenir
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
Louis ARAGON,
poème issu du Roman inachevé, Gallimard, 1956
Commentaire d'après le site :
Le poète utilise la polyphonie (plusieurs voix) :
-D’abord (vers 1 à 18), il s’adresse
directement aux résistants de l’affiche rouge (« vous ») et
met en place une véritable commémoration (cérémonie en souvenir d’une
personne ou d’un événement)
-Il propose ensuite une paraphrase (=
reformulation) poétique de la lettre que Manouchian a écrite le matin de
son exécution dans le but de susciter l’émotion du lecteur (vers 18 à
30, en italique). On remarque l’anaphore de " Adieu " ainsi
que l’allitération en m : " Ma Mélinée ",
" mon amour ", " mon orpheline "
Aragon évoque de façon subjective l’affiche
rouge (2ème strophe) pour dénoncer la
manipulation que ses auteurs ont voulu exercer sur les passants.
Il montre également l’échec de celle-ci en signalant
que l’indifférence de la foule le jour était remplacée par des hommages la nuit
(« Morts pour la France ») La dernière strophe s’apparente à une
épitaphe (= inscription sur un tombeau) et rappelle la valeur de leur sacrifice.
Ce poème engagé a pour objectif de
rétablir la vérité et de faire en sorte que le sacrifice de ces hommes ne soit
pas oublié.