Nouveau
venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.
Vois quel orgueil, quelle ruine et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit,
Reste de Rome. Ô mondaine inconstance !
Ce qui est ferme est par le temps détruit,
Et ce qui fuit au temps fait résistance.
Ce groupe de marbre blanc de 1m de base et de 2 m de haut, d'un seul bloc, fut découvert en 1506 à Rome sur la colline de l'Esquilin dans la Domus Aurea de Neron.
L'oeuvre fut tout de suite identifiée comme étant celle dont parlait avec admiration Pline l'Ancien dans son" Histoire Naturelle" et qui se trouvait dans le palais de l'Empereur Titus.
Quelque temps après mon
retour à Mont-Louis, La Tour, le peintre, vint m'y voir, et m'apporta mon
portrait en pastel, qu'il avait exposé au Salon il y avait quelques années. Il
avait voulu me donner ce portrait, que je n'avais pas accepté. Mais Mme d'Epinay,
qui m'avait donné le sien et qui voulait avoir celui-là, m'avait engagé à le
lui redemander. Il avait pris du temps pour le retoucher. Dans cet intervalle
vint ma rupture avec Mme d'Epinay ; je lui rendis
son portrait, et n'étant plus question de lui donner le mien, je le mis dans ma
chambre au petit Château. M. de Luxembourg l'y vit, et le trouva
bien ; je le lui offris, il l'accepta ; je le lui envoyai. Ils
comprirent, lui et Mme la Maréchale, que je serais bien
aise d'avoir les leurs. Ils les firent faire en miniature, de très bonne main,
les firent enchâsser dans une boîte à bonbons, de cristal de roche, montée en
or, et m'en firent le cadeau d'une façon très galante, dont je fus enchanté. Mme de
Luxembourg ne voulut jamais consentir que son portrait occupât le dessus de la
boîte. Elle m'avait reproché plusieurs fois que j'aimais mieux M. de
Luxembourg qu'elle, et je ne m'en étais point défendu, parce que cela était
vrai. Elle me témoigna bien galamment, mais bien clairement, par cette façon de
placer son portrait, qu'elle n'oubliait pas cette préférence.
Peu de temps après mon
établissement à Motiers-Travers, ayant toutes les assurances possibles qu’on
m’y laisserait tranquille, je pris l’habit arménien. Ce n’était pas une idée
nouvelle. Elle m’était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me
revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à
rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de
l’habit long. La commodité d’un tailleur arménien, qui venait souvent voir un
parent qu’il avait à Montmorency, me tenta d’en profiter pour prendre ce nouvel
équipage, au risque du qu’en-dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant,
avant d’adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l’avis de Mme de
Luxembourg, qui me conseilla fort de la – 609 – prendre. Je me fis donc une
petite garde-robe arménienne ; mais l’orage excité contre moi m’en fit remettre
l’usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut que quelques mois après que,
forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans
aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après avoir
consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pouvais le porter au temple même
sans scandale. Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la
ceinture, et après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis
point d’inconvénient à le porter chez Milord Maréchal. Son Excellence, me voyant
ainsi vêtu, me dit pour tout compliment, Salamaleki ; après quoi tout fut fini,
et je ne portai plus d’autre habit.
Madame
Ileana GUZMAN Attachée de coopération pour le français
Lombardie, Ligurie, Piémont, Val d'Aoste Institut français d'Italie / Ambassade de France en Italie
H
8.30 Irene Besozzi
« Le
Fantôme de l’Opera de Gaston Leroux »
H 8.45 Filippo Manzoni, Phillip Millar e Mattia
Torricelli :
“
Les langues romanes”
Commentaire
composé
H
9,00 Bagnoli Lucrezia e Lavinia
« Charles
Baudelaire : À une passante”
Alternanza scuola /lavoro
H 9.20 Anna Crotta, Mario Gervasini e Andrea Monicelli :
“ Assistant ESABAC : Morosolo – Luvinate”
H 9.45 IMEN DZIRI E MARIAM ERRAKBI :
Analyse
et critique d’un film Ce que le jour doit à la nuit d’après le
roman de Yasmina Khadra
TRANSALP
H 10,10 CHIARA JACAZZI :
« TRANSALP
ÉCHANGE INDIVIDUEL D’ÉLÈVES DANS
LE CADRE D’UN PARTENARIAT SCOLAIRE, Un
échange linguistique et culturel au-delà
de toutes barrières naturelles »
H
10.30 Morgana Capasso
« Désir,
représentation et communication publicitaires »
H.
10,50 pause
Commentaire
dirigé
H 11,10 Beatrice
Falcone :
« Paul Eluard La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur…, Capitale
de la douleur (1926)
Essai
Bref
H
11.40 Ines Serpe :
« Écrire
un essai bref »
Goncourt
des lycéens italiens
H
12.10 Michele Cova :
Brigitte
Giraud Un loup pour l’homme ÉD. Flammarion 2017
H
12.40 Corti :
François-Henri Désérable Un certain M. Piekielny ÉD. Gallimard 2017
Sur
les trottoirs je pense à toi
Sur les boulevards je pense à toi
Dans la nuit noire je pense à toi
Même s’il est tard
Sous les réverbères je pense à toi
Dans la lumière je pense à toi
Tous les hémisphères je pense à toi
Sous la poussière
On était beaux pourtant
On accélérait sans freins
On s’aimait trop pour s’aimer bien
On était beaux souvent
Quand on souriait pour rien
On s’aimait trop pour s’aimer bien
Je me réveille je pense à toi
Encore sommeil je pense à toi
Trop de soleil je pense à toi
C’est plus pareil
En funambule je pense à toi
On me bouscule je pense à toi
Si
je recule je pense à toi
J’suis ridicule
On était beaux pourtant
On accélérait sans freins
On s’aimait trop pour s’aimer bien
On était beaux souvent
Quand on souriait pour rien
On s’aimait trop pour s’aimer bien
Je suis désolée je pense à toi
Presque obsédée je pense à toi
Dépossédée je pense à toi
Trop fatiguée
Sur toutes les routes je pense à toi
Si je m’écoute je pense à toi
L’ombre d’un doute je pense à toi
Je me dégoute
On était beaux pourtant
On
accélérait sans freins
On s’aimait trop pour s’aimer bien
On était beaux souvent
Quand on souriait pour rien
On s’aimait trop pour s’aimer bien
Tu sais j’étouffe je pense à toi
Quand je découche je pense à toi
Je perds mon souffle je pense à toi
Au bord du gouffre
Encore un soir je pense à toi
J’ai le cafard je pense à toi
Dans le brouillard je pense à toi
J’peux pas y croire
On était beaux pourtant
On accélérait sans freins
On s’aimait trop pour s’aimer bien
On était beaux souvent
Quand on souriait pour rien
On s’aimait trop pour s’aimer bien
Mai qui sont les écorchés ? Les Déchirés.. Les Dépouillés ... Les Exploités... et bien d'autres ancore ...
Emmène-moi
danser
Dans les dessous
Des villes en folie
Puisqu'il y a dans ces
Endroits autant de songes
Que quand on dort
Et on n'dort pas
Alors autant se tordre
Ici et là
Et se rejoindre en bas
Puisqu'on se lasse de tout
Pourquoi nous entrelaçons-nous ?
Pour les écorchés vifs
On en a des sévices
Allez enfouis-moi
Passe-moi par dessus tous les bords
Mais reste encore
Un peu après
Que même la fin soit terminée
Moi j'ai pas allumé la mèche
C'est Lautréamont
Qui me presse
Dans les déserts
Là ou il prêche
Ou devant rien
On donne la messe
Pour les écorchés
Serre-moi encore
Étouffe-moi si tu peux
Toi qui sais ou
Après une subtile esquisse
On a enfoncé les vis...
Nous les écorchés vifs
On en a des sévices.
Oh mais non rien de grave
Y a nos hématomes crochus qui nous
Sauvent
Et tous nos points communs
Dans les dents
Et nos lambeaux de peau
Qu'on retrouve ça et là
Dans tous les coins
Ne cesse pas de trembler
C'est comme ça que je te reconnais
Même s'il vaut beaucoup mieux pour toi
Que tu trembles un peu moins que moi.
Emmène-moi, emmène-moi
On doit pouvoir
Se rendre écarlates
Et même
Si on précipite
On devrait voir
White light white heat
Allez enfouis-moi
Passe-moi par dessus tous les bords
Encore un effort
On sera de nouveau
Calmes et tranquilles
Calmes et tranquilles
Serre-moi encore
Serre-moi encore
Etouffe-moi si tu peux...
Serre-moi encore
Nous les écorchés vifs
On en a des sévices
Les écorchés vifs
On les sent les vis
« Ce qui force à
penser, c’est le signe. Le signe est l’objet d’une rencontre ; mais c’est
précisément la contingence de la rencontre qui garantit la nécessité de ce
qu’elle donne à penser. L’acte de penser ne découle pas d’une simple
possibilité naturelle. Il est, au contraire, la seule création véritable. La
création, c’est la genèse de l’acte de penser dans la pensée elle-même. Or
cette genèse implique quelque chose qui fait violence à la pensée, qui
l’arrache à sa stupeur naturelle, à ses possibilités seulement abstraites.
Penser, c’est toujours interpréter, c’est-à-dire expliquer, développer,
traduire un signe. Traduire, déchiffrer, développer sont la forme de la
création pure. Il n’y a pas plus de significations explicites que d’idées
claires. Il n’y a que des sens impliqués dans des signes ; et si la pensée a le
pouvoir d’expliquer le signe, de le développer dans une Idée, c’est parce que
l’Idée est déjà là dans le signe, à l’état enveloppé et enroulé, dans l’état
obscur de ce qui force à penser. Nous ne cherchons la vérité que dans le temps,
contraints et forcés. Le chercheur de vérité, c’est le jaloux qui surprend un
signe mensonger sur le visage de l’aimé. C’est l’homme sensible, en tant qu’il
rencontre la violence d’une impression. C’est le lecteur, c’est l’auditeur, en
tant que l’œuvre d’art émet des signes qui le forcera peut-être à créer, comme
l’appel du génie à d’autres génies. Les communications de l’amitié bavarde ne
sont rien, face aux interprétations silencieuses d’un amant. La philosophie,
avec toute sa méthode et sa bonne volonté, n’est rien face aux pressions secrètes
de l’œuvre d’art. Toujours la création, comme la genèse de l’acte de penser,
part des signes. L’œuvre d’art naît des signes autant qu’elle les fait naître ;
le créateur est comme le jaloux, divin interprète qui surveille les signes
auxquels la vérité se trahit. »
Gilles Deleuze, Proust
et les signes, PUF/Quadrige, 1964
Quand
je me tourne vers mes souvenirs
je revois la maison où j'ai grandi
Il me revient des tas de choses
je vois des roses dans un jardin
Là où vivaient des arbres, maintenant
la ville est là
et la maison, les fleurs que j'aimais tant
n'existent plus
Ils
savaient rire, tous mes amis
ils savaient si bien partager mes jeux
mais tout doit finir pourtant dans la vie
et j'ai dû partir, les larmes aux yeux
Mes amis me demandaient "Pourquoi pleurer?"
et "Couvrir le monde vaut mieux que rester
Tu trouveras toutes les choses qu'ici on ne voit pas
toute une ville qui s'endort la nuit dans la lumière."
Quand
j'ai quitté ce coin de mon enfance
je savais déjà que j'y laissais mon cœur
Tous mes amis, oui, enviaient ma chance
mais moi, je pense encore à leur bonheur
à l'insouciance qui les faisait rire
et il me semble que je m'entends leur dire:
"Je reviendrai un jour, un beau matin
parmi vos rires,
oui, je prendrai un jour le premier train
du souvenir."
La
temps a passé et me revoilà
cherchant en vain la maison que j'aimais
Où sont les pierres et où sont les roses
toutes les choses auxquelles je tenais?
D'elles et de mes amis plus une trace,
d'autres gens, d'autres maisons ont volé leurs places
Là où vivaient des arbres, maintenant
la ville est là
et la maison , où est-elle, la maison
où j'ai grandi?
Je ne sais pas où est ma maison la maison où j'ai grandi Où est ma maison? Qui sait où est ma maison? Ma maison, où est ma maison? Qui sait où est ma maison?
Voici
le texte de l'article d'Emile Zola, intitulé "J'accuse" et publié le
13 janvier 1898 en première page du quotidien parisien L’Aurore sous la forme
d'une lettre ouverte au président de la République. Le texte accuse le
gouvernement de l’époque d’antisémitisme dans l’affaire Dreyfus.
Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous
m’avez fait un jour, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que
votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la
plus ineffaçable des taches ? Vous êtes sorti sain et sauf des basses
calomnies, vous avez conquis les coeurs. Vous apparaissez rayonnant dans
l’apothéose de cette fête patriotique que l’alliance russe a été pour la
France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre
Exposition Universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité
et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom - j’allais dire sur
votre règne - que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre
vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute
vérité, à toute justice. Et c’est fini, la France a sur la joue cette
souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime
social a pu être commis. Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je
la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne
la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas
être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui
expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas
commis. Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette
vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme. Pour votre honneur, je
suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe
malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du
pays ?
La vérité d’abord sur le procès et sur la condamnation de Dreyfus. Un homme
néfaste a tout mené, a tout fait, c’est le lieutenant-colonel du Paty de Clam,
alors simple commandant. Il est l’affaire Dreyfus tout entière; on ne la
connaîtra que lorsqu’une enquête loyale aura établi nettement ses actes et ses
responsabilités. Il apparaît comme l’esprit le plus fumeux, le plus compliqué,
hanté d’intrigues romanesques, se complaisant aux moyens des
romans-feuilletons, les papiers volés, les lettres anonymes, les rendez-vous
dans les endroits déserts, les femmes mystérieuses qui colportent, de nuit, des
preuves accablantes. C’est lui qui imagina de dicter le bordereau à Dreyfus;
c’est lui qui rêva de l’étudier dans une pièce entièrement revêtue de glaces;
c’est lui que le commandant Forzinetti nous représente armé d’une lanterne
sourde, voulant se faire introduire près de l’accusé endormi, pour projeter sur
son visage un brusque flot de lumière et surprendre ainsi son crime, dans
l’émoi du réveil. Et je n’ai pas à tout dire, qu’on cherche, on trouvera. Je
déclare simplement que le commandant du Paty de Clam, chargé d’instruire
l’affaire Dreyfus, comme officier judiciaire, est, dans l’ordre des dates et
des responsabilités, le premier coupable de l’effroyable erreur judiciaire qui
a été commise. Le bordereau était depuis quelque temps déjà entre les mains du
colonel Sandherr, directeur du bureau des renseignements, mort depuis de
paralysie générale. Des «fuites» avaient lieu, des papiers disparaissaient,
comme il en disparaît aujourd’hui encore; et l’auteur du bordereau était
recherché, lorsqu’un a priori se fit peu à peu que cet auteur ne pouvait être
qu’un officier de l’état-major, et un officier d’artillerie: double erreur
manifeste, qui montre avec quel esprit superficiel on avait étudié ce
bordereau, car un examen raisonné démontre qu’il ne pouvait s’agir que d’un
officier de troupe. On cherchait donc dans la maison, on examinait les
écritures, c’était comme une affaire de famille, un traître à surprendre dans
les bureaux mêmes, pour l’en expulser. Et, sans que je veuille refaire ici une
histoire connue en partie, le commandant du Paty de Clam entre en scène, dès
qu’un premier soupçon tombe sur Dreyfus. A partir de ce moment, c’est lui qui a
inventé Dreyfus, l’affaire devient son affaire, il se fait fort de confondre le
traître, de l’amener à des aveux complets. Il y a bien le ministre de la
Guerre, le général Mercier, dont l’intelligence semble médiocre ; il y a bien
le chef de l’état-major, le général de Boisdeffre, qui paraît avoir cédé à sa
passion cléricale, et le sous-chef de l’état-major, le général Gonse, dont la
conscience a pu s’accommoder de beaucoup de choses. Mais, au fond, il n’y a
d’abord que le commandant du Paty de Clam, qui les mène tous, qui les
hypnotise, car il s’occupe aussi de spiritisme, d’occultisme, il converse avec
les esprits. On ne saurait concevoir les expériences auxquelles il a soumis le
malheureux Dreyfus, les pièges dans lesquels il a voulu le faire tomber, les
enquêtes folles, les imaginations monstrueuses, toute une démence torturante.
Ah ! cette première affaire, elle est un cauchemar, pour qui la connaît dans
ses détails vrais ! Le commandant du Paty de Clam arrête Dreyfus, le met au
secret. Il court chez madame Dreyfus, la terrorise, lui dit que, si elle parle,
son mari est perdu. Pendant ce temps, le malheureux s’arrachait la chair,
hurlait son innocence. Et l’instruction a été faite ainsi, comme dans une
chronique du XVe siècle, au milieu du mystère, avec une complication
d’expédients farouches, tout cela basé sur une seule charge enfantine, ce
bordereau imbécile, qui n’était pas seulement une trahison vulgaire, qui était
aussi la plus impudente des escroqueries, car les fameux secrets livrés se
trouvaient presque tous sans valeur. Si j’insiste, c’est que l’oeuf est ici,
d’où va sortir plus tard le vrai crime, l’épouvantable déni de justice dont la
France est malade. Je voudrais faire toucher du doigt comment l’erreur
judiciaire a pu être possible, comment elle est née des machinations du commandant
du Paty de Clam, comment le général Mercier, les généraux de Boisdeffre et
Gonse ont pu s’y laisser prendre, engager peu à peu leur responsabilité dans
cette erreur, qu’ils ont cru devoir, plus tard, imposer comme la vérité sainte,
une vérité qui ne se discute même pas. Au début, il n’y a donc, de leur part,
que de l’incurie et de l’inintelligence. Tout au plus, les sent-on céder aux
passions religieuses du milieu et aux préjugés de l’esprit de corps. Ils ont
laissé faire la sottise. Mais voici Dreyfus devant le conseil de guerre. Le
huis clos le plus absolu est exigé. Un traître aurait ouvert la frontière à
l’ennemi pour conduire l’empereur allemand jusqu’à Notre-Dame, qu’on ne
prendrait pas des mesures de silence et de mystère plus étroites. La nation est
frappée de stupeur, on chuchote des faits terribles, de ces trahisons
monstrueuses qui indignent l’Histoire ; et naturellement la nation s’incline.
Il n’y a pas de châtiment assez sévère, elle applaudira à la dégradation
publique, elle voudra que le coupable reste sur son rocher d’infamie, dévoré
par le remords. Est-ce donc vrai, les choses indicibles, les choses
dangereuses, capables de mettre l’Europe en flammes, qu’on a dû enterrer
soigneusement derrière ce huis clos? Non! il n’y a eu, derrière, que les
imaginations romanesques et démentes du commandant du Paty de Clam. Tout cela
n’a été fait que pour cacher le plus saugrenu des romans-feuilletons. Et il
suffit, pour s’en assurer, d’étudier attentivement l’acte d’accusation, lu
devant le conseil de guerre. Ah! le néant de cet acte d’accusation ! Qu’un
homme ait pu être condamné sur cet acte, c’est un prodige d’iniquité. Je défie
les honnêtes gens de le lire, sans que leur coeurs bondisse d’indignation et
crie leur révolte, en pensant à l’expiation démesurée, là-bas, à l’île du
Diable. Dreyfus sait plusieurs langues, crime ; on n’a trouvé chez lui aucun
papier compromettant, crime ; il va parfois dans son pays d’origine, crime ; il
est laborieux, il a le souci de tout savoir, crime ; il ne se trouble pas,
crime ; il se trouble, crime. Et les naïvetés de rédaction, les formelles
assertions dans le vide! On nous avait parlé de quatorze chefs d’accusation :
nous n’en trouvons qu’une seule en fin de compte, celle du bordereau ; et nous
apprenons même que les experts n’étaient pas d’accord, qu’un d’eux, M. Gobert,
a été bousculé militairement, parce qu’il se permettait de ne pas conclure dans
le sens désiré. On parlait aussi de vingt-trois officiers qui étaient venus
accabler Dreyfus de leurs témoignages. Nous ignorons encore leurs
interrogatoires, mais il est certain que tous ne l’avaient pas chargé ; et il
est à remarquer, en outre, que tous appartenaient aux bureaux de la guerre.
C’est un procès de famille, on est là entre soi, et il faut s’en souvenir : l’état-major
a voulu le procès, l’a jugé, et il vient de le juger une seconde fois. Donc, il
ne restait que le bordereau, sur lequel les experts ne s’étaient pas entendus.
On raconte que, dans la chambre du conseil, les juges allaient naturellement
acquitter. Et, dès lors, comme l’on comprend l’obstination désespérée avec
laquelle, pour justifier la condamnation, on affirme aujourd’hui l’existence
d’une pièce secrète, accablante, la pièce qu’on ne peut montrer, qui légitime
tout, devant laquelle nous devons nous incliner, le bon Dieu invisible et
inconnaissable ! Je la nie, cette pièce, je la nie de toute ma puissance ! Une
pièce ridicule, oui, peut-être la pièce où il est question de petites femmes,
et où il est parlé d’un certain D... qui devient trop exigeant : quelque mari
sans doute trouvant qu’on ne lui payait pas sa femme assez cher.
Mais une pièce intéressant la défense nationale, qu’on ne saurait produire sans
que la guerre fût déclarée demain, non, non ! C’est un mensonge ! et cela est
d’autant plus odieux et cynique qu’ils mentent impunément sans qu’on puisse les
en convaincre. Ils ameutent la France, ils se cachent derrière sa légitime
émotion, ils ferment les bouches en troublant les cœurs, en pervertissant les
esprits. Je ne connais pas de plus grand crime civique. Voilà donc, monsieur le
Président, les faits qui expliquent comment une erreur judiciaire a pu être
commise ; et les preuves morales, la situation de fortune de Dreyfus, l’absence
de motifs, son continuel cri d’innocence, achèvent de le montrer comme une
victime des extraordinaires imaginations du commandant du Paty de Clam, du
milieu clérical où il se trouvait, de la chasse aux « sales juifs », qui
déshonore notre époque.
Et nous arrivons à l’affaire Esterhazy. Trois ans se sont passés, beaucoup de
consciences restent troublées profondément, s’inquiètent, cherchent, finissent
par se convaincre de l’innocence de Dreyfus. Je ne ferai pas l’historique des
doutes, puis de la conviction de M. Scheurer-Kestner. Mais, pendant qu’il
fouillait de son côté, il se passait des faits graves à l’état-major même. Le
colonel Sandherr était mort, et le lieutenant-colonel Picquart lui avait
succédé comme chef du bureau des renseignements. Et c’est à ce titre, dans
l’exercice de ses fonctions, que ce dernier eut un jour entre les mains une
lettre-télégramme, adressée au commandant Esterhazy, par un agent d’une
puissance étrangère. Son devoir strict était d’ouvrir une enquête. La certitude
est qu’il n’a jamais agi en dehors de la volonté de ses supérieurs. Il soumit
donc ses soupçons à ses supérieurs hiérarchiques, le général Gonse, puis le
général de Boisdeffre, puis le général Billot, qui avait succédé au général
Mercier comme ministre de la Guerre. Le fameux dossier Picquart, dont il a été
tant parlé, n’a jamais été que le dossier Billot, j’entends le dossier fait par
un subordonné pour son ministre, le dossier qui doit exister encore au
ministère de la Guerre. Les recherches durèrent de mai à septembre 1896, et ce
qu’il faut affirmer bien haut, c’est que le général Gonse était convaincu de la
culpabilité d’Esterhazy, c’est que le général de Boisdeffre et le général
Billot ne mettaient pas en doute que le bordereau ne fût de l’écriture
d’Esterhazy. L’enquête du lieutenant-colonel Picquart avait abouti à cette
constatation certaine. Mais l’émoi était grand, car la condamnation d’Esterhazy
entraînait inévitablement la révision du procès Dreyfus; et c’était ce que
l’état-major ne voulait à aucun prix. Il dut y avoir là une minute
psychologique pleine d’angoisse. Remarquez que le général Billot n’était
compromis dans rien, il arrivait tout frais, il pouvait faire la vérité. Il
n’osa pas, dans la terreur sans doute de l’opinion publique, certainement aussi
dans la crainte de livrer tout l’état-major, le général de Boisdeffre, le
général Gonse, sans compter les sous-ordres. Puis, ce ne fut là qu’une minute
de combat entre sa conscience et ce qu’il croyait être l’intérêt militaire.
Quand cette minute fut passée, il était déjà trop tard. Il s’était engagé, il
était compromis. Et, depuis lors, sa responsabilité n’a fait que grandir, il a
pris à sa charge le crime des autres, il est aussi coupable que les autres, il
est plus coupable qu’eux, car il a été le maître de faire justice, et il n’a
rien fait. Comprenez-vous cela ! Voici un an que le général Billot, que les
généraux de Boisdeffre et Gonse savent que Dreyfus est innocent, et ils ont
gardé pour eux cette effroyable chose ! Et ces gens-là dorment, et ils ont des
femmes et des enfants qu’ils aiment ! Le lieutenant-colonel Picquart avait
rempli son devoir d’honnête homme. Il insistait auprès de ses supérieurs, au
nom de la justice. Il les suppliait même, il leur disait combien leurs délais
étaient impolitiques, devant le terrible orage qui s’amoncelait, qui devait
éclater, lorsque la vérité serait connue. Ce fut, plus tard, le langage que M.
Scheurer- Kestner tint également au général Billot, l’adjurant par patriotisme
de prendre en main l’affaire, de ne pas la laisser s’aggraver, au point de
devenir un désastre public. Non! Le crime était commis, l’état-major ne pouvait
plus avouer son crime. Et le lieutenant-colonel Picquart fut envoyé en mission,
on l’éloigna de plus en plus loin, jusqu’en Tunisie, où l’on voulut même un
jour honorer sa bravoure, en le chargeant d’une mission qui l’aurait sûrement
fait massacrer, dans les parages où le marquis de Morès a trouvé la mort. Il
n’était pas en disgrâce, le général Gonse entretenait avec lui une
correspondance amicale. Seulement, il est des secrets qu’il ne fait pas bon
d’avoir surpris. A Paris, la vérité marchait, irrésistible, et l’on sait de
quelle façon l’orage attendu éclata. M. Mathieu Dreyfus dénonça le commandant
Esterhazy comme le véritable auteur du bordereau, au moment où M.
Scheurer-Kestner allait déposer, entre les mains du garde des Sceaux, une
demande en révision du procès. Et c’est ici que le commandant Esterhazy paraît.
Des témoignages le montrent d’abord affolé, prêt au suicide ou à la fuite.
Puis, tout d’un coup, il paye d’audace, il étonne Paris par la violence de son
attitude. C’est que du secours lui était venu, il avait reçu une lettre anonyme
l’avertissant des menées de ses ennemis, une dame mystérieuse s’était même
dérangée de nuit pour lui remettre une pièce volée à l’état-major, qui devait
le sauver. Et je ne puis m’empêcher de retrouver là le lieutenant-colonel du
Paty de Clam, en reconnaissant les expédients de son imagination fertile. Son
œuvre, la culpabilité de Dreyfus, était en péril, et il a voulu sûrement
défendre son oeuvre. La révision du procès, mais c’était l’écroulement du
roman- feuilleton si extravagant, si tragique, dont le dénouement abominable a
lieu à l’île du Diable! C’est ce qu’il ne pouvait permettre. Dès lors, le duel
va avoir lieu entre le lieutenant-colonel Picquart et le lieutenant-colonel du
Paty de Clam, l’un le visage découvert, l’autre masqué. on les retrouvera
prochainement tous deux devant la justice civile. Au fond, c’est toujours
l’état-major qui se défend, qui ne veut pas avouer son crime, dont
l’abomination grandit d’heure en heure. On s’est demandé avec stupeur quels
étaient les protecteurs du commandant Esterhazy. C’est d’abord, dans l’ombre,
le lieutenant-colonel du Paty de Clam qui a tout machiné, qui a tout conduit.
Sa main se trahit aux moyens saugrenus. Puis, c’est le général de Boisdeffre,
c’est le général Gonse, c’est le général Billot lui-même, qui sont bien obligés
de faire acquitter le commandant, puisqu’ils ne peuvent laisser reconnaître
l’innocence de Dreyfus, sans que les bureaux de la guerre croulent dans le
mépris public. Et le beau résultat de cette situation prodigieuse est que
l’honnête homme, là- dedans, le lieutenant-colonel Picquart, qui seul a fait
son devoir, va être la victime, celui qu’on bafouera et qu’on punira. Ô
justice, quelle affreuse désespérance serre le cœur ! On va jusqu’à dire que
c’est lui le faussaire, qu’il a fabriqué la carte-télégramme pour perdre
Esterhazy. Mais, grand Dieu! pourquoi ? dans quel but ? donnez un motif. Est-ce
que celui-là aussi est payé par les juifs ? Le joli de l’histoire est qu’il
était justement antisémite. Oui ! nous assistons à ce spectacle infâme, des
hommes perdus de dettes et de crimes dont on proclame l’innocence, tandis qu’on
frappe l’honneur même, un homme à la vie sans tache ! Quand une société en est
là, elle tombe en décomposition. Voilà donc, monsieur le Président, l’affaire
Esterhazy : un coupable qu’il s’agissait d’innocenter. Depuis bientôt deux
mois, nous pouvons suivre heure par heure la belle besogne. J’abrège, car ce
n’est ici, en gros, que le résumé de l’histoire dont les brûlantes pages seront
un jour écrites tout au long. Et nous avons donc vu le général de Pellieux,
puis le commandant Ravary, conduire une enquête scélérate d’où les coquins
sortent transfigurés et les honnêtes gens salis. Puis, on a convoqué le conseil
de guerre.
Comment a-t-on pu espérer qu’un conseil de guerre déferait ce qu’un conseil de
guerre avait fait ? Je ne parle même pas du choix toujours possible des juges.
L’idée supérieure de discipline, qui est dans le sang de ces soldats, ne
suffit-elle à infirmer leur pouvoir d’équité ? Qui dit discipline dit
obéissance. Lorsque le ministre de la Guerre, le grand chef, a établi
publiquement, aux acclamations de la représentation nationale, l’autorité de la
chose jugée, vous voulez qu’un conseil de guerre lui donne un formel démenti ?
Hiérarchiquement, cela est impossible. Le général Billot a suggestionné les
juges par sa déclaration, et ils ont jugé comme ils doivent aller au feu, sans
raisonner. L’opinion préconçue qu’ils ont apportée sur leur siège, est
évidemment celle-ci :
« Dreyfus a été condamné pour crime de trahison par un conseil de guerre, il
est donc coupable ; et nous, conseil de guerre, nous ne pouvons le déclarer
innocent ; or nous savons que reconnaître la culpabilité d’Esterhazy, ce serait
proclamer l’innocence de Dreyfus. » Rien ne pouvait les faire sortir de là. Ils
ont rendu une sentence inique, qui à jamais pèsera sur nos conseils de guerre,
qui entachera désormais de suspicion tous leurs arrêts. Le premier conseil de
guerre a pu être inintelligent, le second est forcément criminel. Son excuse,
je le répète, est que le chef suprême avait parlé, déclarant la chose jugée
inattaquable, sainte et supérieure aux hommes, de sorte que des inférieurs ne
pouvaient dire le contraire. On nous parle de l’honneur de l’armée, on veut que
nous l’aimions, la respections. Ah! certes, oui, l’armée qui se lèverait à la
première menace, qui défendrait la terre française, elle est tout le peuple, et
nous n’avons pour elle que tendresse et respect. Mais il ne s’agit pas d’elle,
dont nous voulons justement la dignité, dans notre besoin de justice. Il s’agit
du sabre, le maître qu’on nous donnera demain peut-être. Et baiser dévotement
la poignée du sabre, le dieu, non ! Je l’ai démontré d’autre part : l’affaire
Dreyfus était l’affaire des bureaux de la guerre, un officier de l’état-major,
dénoncé par ses camarades de l’état-major, condamné sous la pression des chefs
de l’état-major. Encore une fois, il ne peut revenir innocent sans que tout
l’état-major soit coupable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables,
par des campagnes de presse, par des communications, par des influences,
n’ont-ils couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Quel coup
de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière,
ainsi que les appelle le général Billot lui-même ! Où est-il, le ministère
vraiment fort et d’un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y
renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible, tremblent
d’angoisse, en sachant dans quelles mains est la défense nationale ! Et quel
nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations, est devenu cet
asile sacré, où se décide le sort de la patrie ! On s’épouvante devant le jour
terrible que vient d’y jeter l’affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d’un
malheureux, d’un « sale juif » ! Ah ! tout ce qui s’est agité là de démence et
de sottise, des imaginations folles, des pratiques de basse police, des moeurs
d’inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs
bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de
justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d’État ! Et c’est
un crime encore que de s’être appuyé sur la presse immonde, que de s’être
laissé défendre par toute la fripouille de Paris, de sorte que voilà la
fripouille qui triomphe insolemment, dans la défaite du droit et de la simple
probité. C’est un crime d’avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent
généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu’on ourdit soi-même
l’impudent complot d’imposer l’erreur, devant le monde entier. C’est un crime
d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a
pervertie jusqu’à la faire délirer. C’est un crime d’empoisonner les petits et
les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance, en
s’abritant derrière l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des
droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie. C’est un crime que
d’exploiter le patriotisme pour des oeuvres de haine, et c’est un crime, enfin,
que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au
travail pour l’oeuvre prochaine de vérité et de justice.Cette vérité, cette
justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir
ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies! Je me doute de
l’écroulement qui doit avoir lieu dans l’âme de M. Scheurer-Kestner, et je
crois bien qu’il finira par éprouver un remords, celui de n’avoir pas agi
révolutionnairement, le jour de l’interpellation au Sénat, en lâchant tout le
paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le grand honnête homme, l’homme de sa
vie loyale, il a cru que la vérité se suffisait à elle- même, surtout
lorsqu’elle lui apparaissait éclatante comme le plein jour. A quoi bon tout
bouleverser, puisque bientôt le soleil allait luire? Et c’est de cette sérénité
confiante dont il est si cruellement puni. De même pour le lieutenant-colonel
Picquart, qui, par un sentiment de haute dignité, n’a pas voulu publier les
lettres du général Gonse. Ces scrupules l’honorent d’autant plus que, pendant
qu’il restait respectueux de la discipline, ses supérieurs le faisaient couvrir
de boue, instruisaient eux-mêmes son procès, de la façon la plus inattendue et
la plus outrageante. Il y a deux victimes, deux braves gens, deux coeurs
simples, qui ont laissé faire Dieu, tandis que le diable agissait. Et l’on a
même vu, pour le lieutenant-colonel Picquart, cette chose ignoble : un tribunal
français, après avoir laissé le rapporteur charger publiquement un témoin,
l’accuser de toutes les fautes, a fait le huis clos, lorsque ce témoin a été
introduit pour s’expliquer et se défendre. Je dis que ceci est un crime de plus
et que ce crime soulèvera la conscience universelle. Décidément, les tribunaux
militaires se font une singulière idée de la justice. Telle est donc la simple
vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre
présidence une souillure. Je me doute bien que vous n’avez aucun pouvoir en
cette affaire, que vous êtes le prisonnier de la Constitution et de votre
entourage. Vous n’en avez pas moins un devoir d’homme, auquel vous songerez, et
que vous remplirez. Ce n’est pas, d’ailleurs, que je désespère le moins du
monde du triomphe. Je le répète avec une certitude plus véhémente: la vérité
est en marche et rien ne l’arrêtera. C’est d’aujourd’hui seulement que
l’affaire commence, puisque aujourd’hui seulement les positions sont nettes: d’une
part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse; de l’autre, les
justiciers qui donneront leur vie pour qu’elle soit faite. Je l’ai dit
ailleurs, et je le répète ici: quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y
amasse, elle y prend une force telle d’explosion, que, le jour où elle éclate,
elle fait tout sauter avec elle. on verra bien si l’on ne vient pas de
préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres.
Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de
conclure. J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier
diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et
d’avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les
machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par
faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de
l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de
ce crime de lèse- humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour
sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices
du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet
esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.
J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une
enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse
partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable
monument de naïve audace.
J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et
Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un
examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement
dans L’Éclair et dans L’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer
l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en
condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second
conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à
son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des
articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les
délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je
n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des
esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen
révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant
souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri
de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait
lieu au grand jour ! J’attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect."