C’est Patricia une amie
et collègue de Montpellier qui m’a proposé la lecture de ce roman de
Virginie Despentes : Vernon Subutex (le nom que l'écrivaine
avait utilisé jadis sur facebook) est l'anti-héros du naufrage des idéaux de la
génération rock. Il suit une lente plongée vers la condition
de SDF, à travers le renoncement, le vide marqué par la déchéance
matérielle mais aussi physique, un conte sur la fragilité humaine.
L’auteure
décortique la société française. Il s'agit d'un panorama
stupéfiant de la France en 2015, une France qui périclite dans la
haine et la précarité.
À travers un style
vif, puissant, Virginie Despentes dresse une galerie de portraits
aimables ou détestables mais toujours aussi attachants qui bouleversent
le lecteur.
Roman dur, d'un lecture
difficile pour mes élèves, mais qu'il faudra lire dans
l'attente de compléter la saga avec les tomes II et III.
"Marcia dessinait à la carte Gold, sur la couverture d'un livre de photos, une série de traits impeccables, de taille régulière, espacés avec précision.... Vernon l’observait, se demandant si elle avait étudié chaque geste de la féminité pour l’exécuter à la perfection … Elle lui parlé de la cocaïne en prenant de la cocaïne :
-Chaque ligne qu’on se met dans le nez il faut penser qu’on sniffe le narcotrafic, le capitalisme le plus gore qu’on puisse imaginer, on se met dans le nez les corps des paysans qu’il faut maintenir dans la misère pour qu’ils n’augmentent pas les tarifs, on se met dans le nez les cartels et la police, les milices privées, les exactions des Kaibiles et la prostitution qui va avec …les mecs tranchent les têtes à la tronçonneuse. C’est l’argent de la cocaïne qui a sauvé les banques, tout le système ne sert qu’à blanchir cet argent. Tu sais où a été inventée, cette drogue ? En Autriche. Ne me dis pas que tu ne vois pas où je veux venir - (p.355)
Présentation de Nathalie Crom
A travers la dérive
parisienne d'un antihéros mélancolique et désabusé, la romancière dresse une
âpre radioscopie de la société contemporaine.
Sans domicile, sans
famille, sans attaches — ses amis sont morts ou ont déserté Paris, trop chère,
trop dure —, Vernon Subutex entame sa dérive. Projeté dans la
ville comme une sonde, comme une sorte de caméra endoscopique par Virginie
Despentes, qui, à travers cet antihéros radical, sa déambulation au jour
le jour, ses hébergements provisoires, ses rencontres éphémères, ses
poursuivants dont il ignore l'existence — car le roman est un polar, et Vernon,
en possession de précieux enregistrements vidéo inédits de feu Alex Bleach, un
chanteur populaire mort récemment d'une overdose, est recherché sans le savoir
—, dresse de la société pleinement contemporaine une formidable radioscopie,
rapide, âpre, crue, fourmillante, proliférante, et surtout remarquablement
incarnée ...
La maîtrise avec laquelle Virginie Despentes orchestre
cette polyphonie impressionne, autant que la justesse de son regard engagé et
l'énergie folle qu'elle déploie pour faire entendre le malaise général qui
étreint le vaste échantillon d'humanité peuplant ces pages — premier volume
d'une trilogie annoncée (1) . Enfant du rock, comme son personnage, Despentes
n'a pas remisé sagement sa colère sur l'étagère des accessoires désormais
obsolètes. Une révolte continue de l'animer, lorsqu'elle regarde notre temps,
en capte les injustices profondes et les égoïsmes et fait entendre les discours
de haine ou de défaite
Comment as-tu commencé à écrire Vernon
Subutex ?
Virginie Despentes – J’ai
eu l’idée de Vernon en voyant des gens autour de moi se retrouver dans des
situations compliquées à la cinquantaine. J’ai eu une expérience de disquaire
quand j’étais gamine, et je faisais partie d’un groupe de rock. A l’époque,
dans le rock, des gens se sont croisés qui n’avaient rien à voir ensemble. Ils
ont changé au niveau social et politique. Il y a des évolutions qu’on n’aurait
pas pu prévoir il y a trente ans… J’avais l’idée d’un livre-patchwork qui
traverserait toutes les classes sociales. Je me suis rendu compte qu’il serait volumineux
alors que j’étais déjà très avancée dans l’écriture. Il faisait 1 200 pages.
C’est mon éditeur qui m’a suggéré de le découper en trois tomes.
culturebox
On peut connecter
le roman de Despentes à "Soumission",
le roman de Michel Houellebecq, qui sort en même temps. Les deux romanciers
parlent de la même chose : une certaine forme de décomposition de la société,
de perte des valeurs. Il y a pourtant une ligne de partage très claire entre
eux, qui passe par l'humanisme. Houellebecq ne croit pas (plus ?) en l'homme.
Despentes, oui, qui sauve tous ses personnages jusqu'aux plus ignobles
(Houellebecq aucun, sauf les femmes peut-être). Ces deux postures donnent le
ton : d'un côté un Houellebecq désabusé, de l'autre une Despentes en colère.
"Passé quarante ans tout le monde
ressemble à une ville bombardée" (p.106)
"Internet est l'instrument de la délation anonyme, de la fumé sans feu et du bruit qui court sans qu'on comprenne d'où il vient" (p.129)
liberation