lundi 9 octobre 2017

Virginie Despentes : "Vernon Subutex 1"




 Le lac Majeur vu de la Linea Cadorna de Piancavallo 


C’est Patricia une amie et collègue  de Montpellier qui m’a proposé la lecture de ce roman de  Virginie Despentes : Vernon Subutex (le nom que l'écrivaine avait utilisé jadis sur facebook) est l'anti-héros du naufrage des idéaux de la génération rock.  Il suit une  lente plongée vers la condition de SDF, à travers le renoncement, le vide marqué par la  déchéance matérielle mais aussi physique, un conte sur la  fragilité  humaine.
L’auteure décortique  la société française. Il s'agit d'un  panorama stupéfiant de la France en 2015, une France qui périclite  dans la haine et la précarité.
À travers un  style vif, puissant,  Virginie Despentes dresse une galerie de portraits aimables ou détestables mais toujours aussi  attachants qui bouleversent le lecteur.

Roman dur, d'un lecture difficile  pour mes élèves,  mais qu'il faudra  lire dans l'attente de compléter  la saga avec les tomes II et III.




"Marcia dessinait à la carte Gold, sur la couverture d'un livre de photos, une série de traits impeccables, de taille régulière, espacés avec précision.... Vernon l’observait, se demandant si elle avait étudié chaque geste de la féminité pour l’exécuter à la perfection … Elle lui parlé de la cocaïne en prenant de la cocaïne :

-Chaque ligne qu’on se met dans le nez il faut penser qu’on sniffe le narcotrafic, le capitalisme le plus gore qu’on puisse imaginer, on se met dans le nez les corps des paysans qu’il faut maintenir dans la misère pour qu’ils n’augmentent pas les tarifs, on se met dans le nez les cartels et la police, les milices privées, les exactions des Kaibiles et la prostitution qui va avec …les mecs tranchent les têtes à la tronçonneuse. C’est l’argent de la cocaïne qui a sauvé les banques, tout le système ne sert qu’à blanchir cet argent. Tu sais où a été inventée, cette drogue ? En Autriche. Ne me dis pas que tu ne vois pas où je veux venir - (p.355)







Présentation  de Nathalie Crom 

A travers la dérive parisienne d'un antihéros mélancolique et désabusé, la romancière dresse une âpre radioscopie de la société contemporaine.

Sans domicile, sans famille, sans attaches — ses amis sont morts ou ont déserté Paris, trop chère, trop dure —, Vernon Subutex entame sa dérive. Projeté dans la ville comme une sonde, comme une sorte de caméra endoscopique par Virginie Despentes, qui, à travers cet antihéros radical, sa dé­ambulation au jour le jour, ses hébergements provisoires, ses rencontres éphémères, ses poursuivants dont il ignore l'existence — car le roman est un polar, et Vernon, en possession de précieux enregistrements vidéo inédits de feu Alex Bleach, un chanteur populaire mort récemment d'une over­dose, est recherché sans le savoir —, dresse de la société pleinement contemporaine une formidable radioscopie, rapide, âpre, crue, fourmillante, proliférante, et surtout remarquablement incarnée ...

La maîtrise avec laquelle Virginie Despentes orchestre cette polyphonie impressionne, autant que la justesse de son regard engagé et l'énergie folle qu'elle déploie pour faire entendre le malaise général qui étreint le vaste échantillon d'humanité peuplant ces pages — premier volume d'une trilogie annoncée (1) . Enfant du rock, comme son personnage, Despentes n'a pas remisé sagement sa colère sur l'étagère des accessoires désormais obsolètes. Une révolte continue de l'animer, lorsqu'elle regarde notre temps, en capte les injustices profondes et les égoïsmes et fait entendre les discours de haine ou de défaite





Comment as-tu commencé à écrire Vernon Subutex ?

Virginie Despentes – J’ai eu l’idée de Vernon en voyant des gens autour de moi se retrouver dans des situations compliquées à la cinquantaine. J’ai eu une expérience de disquaire quand j’étais gamine, et je faisais partie d’un groupe de rock. A l’époque, dans le rock, des gens se sont croisés qui n’avaient rien à voir ensemble. Ils ont changé au niveau social et politique. Il y a des évolutions qu’on n’aurait pas pu prévoir il y a trente ans… J’avais l’idée d’un livre-patchwork qui traverserait toutes les classes sociales. Je me suis rendu compte qu’il serait volumineux alors que j’étais déjà très avancée dans l’écriture. Il faisait 1 200 pages. C’est mon éditeur qui m’a suggéré de le découper en trois tomes.





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On peut  connecter le roman de Despentes à "Soumission", le roman de Michel Houellebecq, qui sort en même temps. Les deux romanciers parlent de la même chose : une certaine forme de décomposition de la société, de perte des valeurs. Il y a pourtant une ligne de partage très claire entre eux, qui passe par l'humanisme. Houellebecq ne croit pas (plus ?) en l'homme. Despentes, oui, qui sauve tous ses personnages jusqu'aux plus ignobles (Houellebecq aucun, sauf les femmes peut-être). Ces deux postures donnent le ton : d'un côté un Houellebecq désabusé, de l'autre une Despentes en colère.






"Passé quarante ans tout le monde 
ressemble à une ville bombardée" (p.106)



"Internet est l'instrument de la délation anonyme, de la fumé sans feu et du bruit qui court sans qu'on comprenne d'où il vient" (p.129)

Virginie Despentes, en 2010.

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