dimanche 18 juin 2017

Louis Aragon : Le domaine privé : "Le mot"



Costa Piana (Castagnola) 


Aragon a souvent déclaré à propos de sa mère 
"Ma famille, c'était elle, personne d'autre"



Paru d'abord en Poésie 43 et repris en 1946 "Le domaine privé"
(En étrange pays dans mon pays lui-même) représente 
le  "tombeau poétique" de cette mère tant aimée. 
Le poème est intégralement construit autour du mot maman
que l'enfant ne se donna jamais le droit de prononcer 
(Philippe Forest)

Le mot na pas franchi mes lèvres
Le mot na pas touché mon cœur
Est-ce un lait dont la mort nous sèvre
Est-ce une drogue une liqueur

Jamais je ne lai dit quen songe
Ce lourd secret pèse entre nous
Et tu me vouais au mensonge
 A tes genoux

Nous le portions comme une honte
Quand mes yeux n’étaient pas ouverts
Et les tiens à la fin du compte
Demandaient pardon d’être verts

Te nommer ma sœur me désarme
Jai trop respecté ton chagrin
Le silence a le poids des larmes
 Et leur refrain

Puisque tu dors et que leurs rires
Ne peuvent blesser ton sommeil
Permets-moi devant tous de dire
Que le soleil est le soleil

Que si jai feint cest pour toi seule
Jusqu’à la fin fait linnocent
Pour toi seule jusquau linceul
 Caché mon sang

Javais naissant le tort de vivre
Jirai jusquau bout de mes torts
La vie est une histoire à suivre
Et la mort en est le remords

Ceux peut-être qui me comprennent
Ne feront pas les triomphants
Car une morte est une reine
 A son enfant