27 janvier 1945 - 27 janvier 2016
journée de la mémoire des génocides
et de la prévention des crimes contre l'humanité
Baccalauréat professionnel - épreuve écrite de français
Session de décembre 1998 (Nouvelle Calédonie)
Session de décembre 1998 (Nouvelle Calédonie)
TEXTE
Discours prononcé à Chartres le 10 mai
1975 pour les femmes rescapées de la déportation, réunies pour célébrer le
trentième anniversaire de la libération des camps.
Il
y eut le grand froid qui mord les prisonnières comme les chiens policiers, la
Baltique plombée au loin, et peut-être le fond de la misère humaine. Sur
l'immensité de la neige. il y eut toutes ces taches rayées qui attendaient. Et
maintenant il ne reste que vous, poignée de la poussière battue par les vents
de la mort. Je voudrais que ceux qui sont ici, ceux qui seront avec nous ce
soir; imaginent autour de vous les résistantes pendues, exécutées à la hache,
tuées simplement par la vie des camps d'extermination. La vie ! Ravensbrück,
huit mille mortes politiques. Tous ces yeux fermés jusqu'au fond de la grande
nuit funèbre Jamais tant de femmes n'avaient combattu en France. Et jamais dans
de telles conditions.
Je
rouvrirai à peine le livre des supplices. Encore faut-il ne pas laisser
ramener, ni limiter à l'horreur ordinaire, aux travaux forcés, la plus terrible
entreprise d'avilissement qu'ait connue l'humanité. "Traite-les comme de
la boue, disait la théorie*, parce qu'ils deviendront de la boue." D'où la
dérision à face de bête qui dépassait les gardiens, semblait au-delà des
humains. "Savez-vous jouer du piano? " dans le formulaire que
remplissaient les détenues pour choisir entre le service du crématoire et les
terrassements. Les médecins qui demandaient : "Y a-t-il des tuberculeux
dans votre famille?" aux
torturées qui crachaient le sang. Le certificat médical d'aptitude à recevoir
des coups La rue du camp nommée "chemin de la Liberté". La lecture
des châtiments qu'encourraient celles qui plaisanteraient dans les rangs quand
sur le visage des détenues au garde-à-vous les larmes coulaient en silence. Les
évadées reprises qui portaient la pancarte ."Me voici de retour" La
construction des seconds crématoires. Pour transformer les femmes en bêtes,
l'inextricable chaîne de la démence et de l'horreur, que symbolisait la
punition "Huit jours d'emprisonnement dans la cellule des folles."
Et
le réveil, qui rapportait l'esclave, inexorablement.
80
% de mortes.
Ce
que furent les camps d’extermination, on le sut à partir de 1943. Et toutes les
résistantes, et la foule d'ombres qui, simplement, nous ont donné asile, ont su
au moins qu'elles risquaient plus que le bagne J’ai dit que jamais tant de
femmes n'avaient combattu en France ; et jamais nulle part, depuis les
persécutions romaines, tant de femmes n'ont osé risquer la torture. Faire de la
Résistance féminine un vaste service d'aide, depuis l'agent de liaison jusqu'à
l’infirmière, c'est se tromper d'une guerre. Les résistantes furent les joueuses
d'un terrible jeu. Combattantes, non parce qu'elles maniaient des armes (elles
l'ont fait parfois): mais parce qu'elles étaient des volontaires d'une atroce
agonie. Ce n'est pas le bruit qui fait la guerre, c'est la mort.
André Malraux, La politique, la culture.
QUESTIONS
I Compétences de lecture (10
points)
1 - En vous appuyant sur les informations fournies par le paratexte et par le texte, indiquez quelle est ici la situation de communication. Justifiez votre réponse en citant le texte. (3 points)
2 - Qui est désigné par "nous" dans
"seront avec nous ce soir" (ligne 10)? Dans "nous ont donné
asile (lignes 58 et 59)? Vous justifierez vos réponses en utilisant les indices
présents dans le texte. (3 points)
3 - Quels points communs voyez-vous entre la
phrase de la ligne 19 ("Et jamais dans de telles conditions.") et la
phrase de la ligne 54 ("80% de mortes.")? Quels effets
produisent-elles ? Quel rôle jouent-elles dans le discours ? (4 points)
II
Compétences d’écriture (10 points)
Au cours d’un débat en classe, un de vos
camarades se plaint que l’on parle trop de la déportation (cours d’histoire,
émissions de télévision, commémorations...). N’ayant pas pu lui répondre en
classe, vous rédigez à son intention un texte d’une trentaine de lignes dans
lequel vous expliquerez la nécessité d’évoquer ce fait historique.
ELEMENTS DE CORRIGE
1-En
vous appuyant sur les informations fournies par le paratexte et par le texte,
indiquez quelle est ici la situation de communication. Justifiez votre réponse
en citant le texte. (3 points)
Les informations fournies par le paratexte
permettent de préciser la situation de communication: André Malraux, écrivain
célèbre et ancien ministre des Affaires Culturelles (de 1959 à 1969) du Général
De Gaulle, prononce un "discours [...] pour les femmes rescapées de la
déportation" à l'occasion du "trentième anniversaire de la libération
des camps".
L'orateur s'adresse directement à ces femmes
rescapées ainsi qu'en témoignent les diverses formes de pronoms personnels 'Je
voudrais" (ligne 9) ; "il ne reste que vous (ligne 7). Il s'adresse
aussi plus largement aux hommes et aux femmes qui s’associent à l' événement
ceux qui seront avec nous ce soir" (ligne 10).
2 - Qui est désigné par «nous »
dans «seront avec nous ce soir » (ligne 10) ? Dans «nous ont donné asile »
(lignes 58 et 59) ? Vous justifierez vos réponses en utilisant les indices
présents dans le texte. (3 points)
Dans l'expression "seront avec nous ce
soir" (ligne 10), le pronom personnel "nous" désigne l'ensemble
des femmes rescapées présentes dans la foule, l'orateur lui-même ainsi que
toutes les personnes de l'assistance (l'emploi du futur "seront"
permet en outre d'englober dans ce "nous" les personnes qui viendront
plus tard dans la soirée).
Dans l'expression "nous ont donné asile"
(lignes 58 et 59) le pronom personnel "nous" désigne les résistants
qui ont eu la chance d'être accueillis et cachés ; André Malraux, qui fut
lui-même résistant, est englobé dans ce nous.
Alors que le premier "nous" renvoie
au moment du discours, le deuxième "nous" renvoie au moment
historique de l' "Occupation". L'orateur mêle ainsi dans son discours
le présent et l'évocation du passé, assurant une sorte de continuité qui abolit
le temps (trente ans), exalte la mémoire et suscite l'émotion.
3 -
Quels points communs voyez-vous entre la phrase de la ligne 19 et la phrase de
la ligne 54? Quels effets produisent-elles ? Quel rôle jouent-elles dans le
discours? (4 points)
"Et jamais dans de telles
conditions" (ligne 19)
"80% de mortes (ligne 54)
Ces deux phrases tranchent dans le discours d'André Malraux par leurs caractéristiques syntaxiques phrases nominales, elliptiques, brèves sinon sèches ; chacune d'elles a valeur de paragraphe ; elles s'opposent nettement aux autres paragraphes et aux autres phrases. Elles prennent ainsi d'autant plus de force; c'est le cas notamment pour la deuxième phrase qui, par sa sécheresse statistique, évoque bien le destin des déportées quatre femmes sur cinq mourront dans les camps.
Par leur place dans le discours, leur nature, leur puissance évocatrice, par leur disposition typographique, ces deux phrases semblent rythmer, ponctuer, scander le propos d'André Malraux, comme une respiration. Ces effets oratoires contribuent à la solennité et à la gravité de la commémoration.
"80% de mortes (ligne 54)
Ces deux phrases tranchent dans le discours d'André Malraux par leurs caractéristiques syntaxiques phrases nominales, elliptiques, brèves sinon sèches ; chacune d'elles a valeur de paragraphe ; elles s'opposent nettement aux autres paragraphes et aux autres phrases. Elles prennent ainsi d'autant plus de force; c'est le cas notamment pour la deuxième phrase qui, par sa sécheresse statistique, évoque bien le destin des déportées quatre femmes sur cinq mourront dans les camps.
Par leur place dans le discours, leur nature, leur puissance évocatrice, par leur disposition typographique, ces deux phrases semblent rythmer, ponctuer, scander le propos d'André Malraux, comme une respiration. Ces effets oratoires contribuent à la solennité et à la gravité de la commémoration.
II - Compétences d'écriture (10 points)
Quelques critères d'évaluation :
respect de la longueur ("une trentaine de lignes")
respect des n'arques du discours (emploi de la première personne, temps des verbes...)
organisation et cohérence de la réponse
qualité de l'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)
prise en compte de la situation de communication (l’écrit attendu est une réponse; la forme normalisée d’une lettre est possible sans être exigée; le destinataire est désigné: "tu")
insertion dans un débat (la thèse adverse doit apparaître plus ou moins explicitement)
visée argumentative claire (organisation, présence d’arguments pertinents, d’exemples, articulations...)
implication forte de l’émetteur (marques de sentiments par exemple)
JP DURAND, H GERMAIN I.E.N. Rectorat de Nantes
Quelques critères d'évaluation :
respect de la longueur ("une trentaine de lignes")
respect des n'arques du discours (emploi de la première personne, temps des verbes...)
organisation et cohérence de la réponse
qualité de l'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)
prise en compte de la situation de communication (l’écrit attendu est une réponse; la forme normalisée d’une lettre est possible sans être exigée; le destinataire est désigné: "tu")
insertion dans un débat (la thèse adverse doit apparaître plus ou moins explicitement)
visée argumentative claire (organisation, présence d’arguments pertinents, d’exemples, articulations...)
implication forte de l’émetteur (marques de sentiments par exemple)
JP DURAND, H GERMAIN I.E.N. Rectorat de Nantes