Le film de Claude Berri (1993)
Incipit : L'arrivée à Montsou
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres.
L‘homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d’un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup, et il le serrait contre ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d’est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. L’homme avait à sa droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu un talus d’herbe s’élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d’une vision de village aux toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement; à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu’il comprit davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectade venait de l’arrêter. C’était une masse lourde un tas écrasé de constructions, d’où se dressait la silhouette d’une cheminée d’usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d’un échappement de vapeur, qu’on ne voyait point.
Excipit: Le départ d'Etienne
Mais Etienne, quittant le chemin de Vandame, débouchait sur le pavé. A droite, il apercevait Montsou qui dévalait et se perdait. En face, il avait les décombres du Voreux, le trou maudit que trois pompes épuisaient sans relâche. Puis, c'étaient les autres fosses à l'horizon, la Victoire, Saint-Thomas, Feutry-Cantel; tandis que, vers le nord, les tours élevées des hauts fourneaux et les batteries des fours à coke fumaient dans l'air transparent du matin. S'il voulait ne pas manquer le train de huit heures, il devait se hâter, car il avait encore six kilomètres à faire.
Et, sous ses pieds, les coups profonds, les coups obstinés des rivelaines continuaient. Les camarades étaient tous là, il les entendait le suivre à chaque enjambée. N'était-ce pas la Maheude, sous cette pièce de betteraves, l'échine cassée, dont le souffle montait si rauque, accompagné par le ronflement du ventilateur ? A gauche, à droite, plus loin, il croyait en reconnaître d'autres, sous les blés, les haies vives, les jeunes arbres. Maintenant, en plein ciel, le soleil d'avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait. Du flanc nourricier jaillissait la vie, les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. De toutes parts, des graines se gonflaient, s'allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d'un besoin de chaleur et de lumière. Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s'épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enflammés de l'aster, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre.
Commentaire
1. Ce sont les deux derniers paragraphes du roman. Après l'échec apparent de la grève, la direction de la mine réclame le départ d'Etienne et les mineurs sont contraints de reprendre le travail avec un fort sentiment d'échec. Etienne, lui, s'en va persuadé qu'il va pouvoir travailler à Paris à l'organisation d'un syndicat puissant et fort et qu'au fond, la grève va porter ses fruits et qu'un jour les ouvriers pourront enfin connaître une vie décente.
2. Ce départ d'Etienne est à rapprocher, pour mieux en percevoir la symbolique, et pour ceux qui ont le livre, du premier chapitre, l'arrivée d'Etienne à la mine de Montsou . Autant son arrivée est marquée par le froid, l'obscurité, la solitude physique et morale, autant le départ est marqué par l'impression de solidarité et de chaleur sur un jour qui se lève rapidement, porteur de promesses.
3. On pourra noter un certain nombre d'effets : style indirect libre qui traduit l'étonnement d'Etienne, sa découverte, mais qui s'associe aussi aux effets de détermination spatiale ("sous ses pieds" ; "A gauche, à droite, plus loin" ; "sous les "). A propos de ces effets, on peut souligner aussi une gradation qui conduit à un élargissement de la description et de l'effet ( sous ces pieds multiplication des lieux - à gauche, à droite, plus loin)
Le mois de germinal dans le calendrier et l'histoire
révolutionnaires
Germinal est le septième mois du
calendrier républicain allant du 21 ou 22 mars au 18 ou 19 avril, ainsi nommé
parce qu'il est le mois de la germination
.
Les autre mois du
calendrier institué en France en 1793 sont : vendémiaire, brumaire, frimaire / nivôse, pluviôse, ventôse /
germinal, floréal, prairial / messidor, thermidor, fructidor.
Le 12 germinal An III (1er avril 1795) il y eut un
soulèvement, dû à la misère, des faubourgs parisiens contre la Convention
thermidorienne. Les manifestants envahirent la
Convention en réclamant "Du pain ! la constitution de l'an I ! La liberté
pour les patriotes !".
L'action commence une nuit de mars et s'achève un
matin d'avril. Le roman serait donc un long mois de germinal. Parmi les mois de
printemps symbolisant le renouveau ou l'espoir, Zola a choisi celui de la
germination.
Le titre connote
une période révolutionnaire, une révolte populaire due à la misère.
La métaphore de la germination dans le roman de Zola
Il n'y a aucune occurrence du mot "germinal"
dans le roman, par conséquent aucune phrase-clé qui donnerait le sens du titre.
Il faut donc
chercher tous les mots de la racine "germer" puis des autres étapes
de la culture.
Dans l'ordre du cycle naturel : labourer / semer ou
ensemencer ou planter / germer ou bourgeonner / pousser / mûrir / fructifier /
cueillir ou moissonner ou faucher.