Quel plaisir que d'écouter ce charmeur
de fous de théâtre!
On devrait lui demander de venir en cours!
"Très peu de savoir, beaucoup de saveur"
Roland Barthes
"Sapientia; nul pouvoir, un peu de savoir,
un peu de sagesse et le plus de saveur possible"
Charles de Montesquieu
un peu de sagesse et le plus de saveur possible"
Charles de Montesquieu
LE LION AMOUREUX (*)
A Mademoiselle de Sévigné
Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu'Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni (1) ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir (2) :
Celle-ci prend bien l'assurance (3)
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnaissance.
Du temps que les bêtes parlaient,
Les lions, entre autres, voulaient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puisque leur engeance (4)
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure (5) outre cela.
Voici comment il en alla.
Un lion de haut parentage (6)
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur;
La refuser n'était pas sûr;
Même un refus eût fait possible (7),
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin ;
Car outre qu'en toute matière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D'amoureux à longue crinière.
Le père donc, ouvertement
N'osant renvoyer notre amant (8),
Lui dit :" Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes."
Le lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : " Adieu prudence!"
A Mademoiselle de Sévigné
Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu'Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni (1) ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir (2) :
Celle-ci prend bien l'assurance (3)
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnaissance.
Du temps que les bêtes parlaient,
Les lions, entre autres, voulaient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puisque leur engeance (4)
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure (5) outre cela.
Voici comment il en alla.
Un lion de haut parentage (6)
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur;
La refuser n'était pas sûr;
Même un refus eût fait possible (7),
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin ;
Car outre qu'en toute matière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D'amoureux à longue crinière.
Le père donc, ouvertement
N'osant renvoyer notre amant (8),
Lui dit :" Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes."
Le lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : " Adieu prudence!"
(*) Source : Esope "Le lion et le laboureur" (recueil Nevelet, p.268) (1) et (2) supporter (3) hardiesse (4) race (5) tête d'un sanglier, d'un ours, d'un loup et autres bêtes mordantes (Furetière) (6) origine, naissance (7) peut-être (8) prétendant |