Voilà le Soleil On ne l'attendait plus, celui-là ! Qui fait fumer le vieux goudron mouillé A moins que ce soit les phares d'une balayeuse Qui racle dans la nuit toutes les saloperies Ça y est, je l'ai enfin trouvée Mais je ne sais pas où elle est Je marche dans la forêt des rues Je sonne aux portes, on croit qu' j'ai bu Si jamais vous l'apercevez Dites-lui que je l'attends où elle sait Elle ne pourra pas se tromper Ça fait mille ans qu'on est à se chercher
Sous le monument aux oiseaux Suspendu entre deux eaux Dans le ciel
Voilà le bonheur On ne l'attendait plus, sui-là ! Qui me transforme en gros ballon de joie A moins qu' ce soit un air que m' joue mon pote Le pote qui prend mes nerfs pour des cordes à violon Ça y est, j' l'ai enfin trouvée Mais je ne sais pas où elle est J'ai arpenté tous les quartiers Sauf l'échangeur et l' Grand Marché Où es-tu, amour ? Que fais-tu ? Par quel inconnu es-tu retenue ? Ta mémoire s'est-elle envolée Que tu ne te souviennes vraiment plus
Du monument aux oiseaux Suspendu entre deux eaux Dans le ciel
Voilà le printemps On ne l'attendait plus, sui-là ! Qui fait vibrer la ville qui dormait A moins que ce soit Tous les gaz délétères Qui se propagent en pourrissant la Terre Ça y est, je l'ai enfin trouvée Mais je ne sais pas où elle est Le mieux c'est de ne plus marcher Par crainte de m'en éloigner Je m'assieds dans le terrain vague Là où la lune fait pousser des forêts Peut-être en y croyant encore Vais-je m'envoler très loin de mon corps
Jusqu'au monument aux oiseaux Suspendu entre deux eaux Dans le ciel BERANGER
De plaines en forêts de vallons en collines Du printemps qui va naître à tes mortes saisons De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson Ma France
Au grand soleil d'été qui courbe la Provence Des genêt de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige Elle répond toujours du nom de Robespierre
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines Celle qui construisit de ses mains vos usines Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France
Picasso tient le monde au bout de sa palette Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes De dire qu'il est temps que le malheur succombe Ma France
Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs En remplissant l'histoire et ses fosses communes Que je chante à jamais celle des travailleurs Ma France
Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain Ma France
Qu'elle monte des mines descende des collines Celle qui chante en moi la belle la rebelle Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines Celle de trente-six à soixante-huit chandelles Ma France
"L'économie telle que nous la connaissons a besoin de ceux, sans nom et sans nombre, qui travaillent pour rien.
Il faut veiller à garder les pauvre pauvres, tant il est besoin de réduire les coûts. Il faudrait accéder à de nouveaux gisements de pauvres, créer des pauvres à partir des semi-riches vacillants, en les désoccupant, en les désassurant, en les dépossédant. L'idéal serait de ne pas payer le travail: on aurait alors la vraie richesse, la création parfaite de quelque chose à partir de rien. Il faudrait supprimer les lois. Laisser faire la nature, qu'il se crée une moltitude de petits animaux féconds, pour une poignée de grandes fauves qui s'en nourrissent" . ( p.151) ÉPHÉMÉRIDE DE LÂRBI
"Vous ne connaissez pas Walenhammes. C'est une ville du nord de la France. La frontière avec la Belgique passe au milieu d'une route. On peut, les pieds dans un pays, pisser dans l'autre. Les mines sont fermées, le haut-fourneau est abandonné. Walenhammes est une ancienne ville industrielle. Elle est un bon exemple de la France qui se délite, qui lâche, qui survit. Charles Avril, journaliste pigiste sur un site d'information, préfère intituler les articles dans lesquels il écrit ce qu'il voit et entend à Walenhammes : "La France qui s'effiloche". Pour sûr, il a du flair. Le récit de son séjour chez les Ch'tis se situe entre un méchant congrès des farces et attrapes et l'Apocalypse."
[Dans Un barrage contre le Pacifique, roman inspiré de son enfance, Marguerite Duras raconte l’histoire d’une famille. Une mère, son fils (Joseph) et sa fille (Suzanne), colons en Indochine française, sont confrontés à la misère ; en cause, les terres impropres à la culture qui leur ont été attribuées par l’administration française L’extrait qui suit ouvre la seconde partie de l’œuvre. Il s’agit de montrer la grande ville coloniale, ses rues, son quartier blanc, ses trafics, ses lieux de loisirs.]
Les quartiers blancs de toutes les villes coloniales du monde étaient toujours, dans ces années-là, d’une impeccable propreté. Il n’y avait pas que les villes. Les blancs aussi étaient très propres. Dès qu’ils arrivaient, ils apprenaient à se baigner tous les jours, comme on fait des petits enfants, et à s’habiller de l’uniforme colonial, du costume blanc, couleur d’immunité1 et d’innocence. Dès lors, le premier pas était fait. La distance augmentait d’autant, la différence première était multipliée, blanc sur blanc, entre eux et les autres, qui se nettoyaient avec la pluie du ciel et les eaux limoneuses1 des fleuves et des rivières. Le blanc est en effet extrêmement salissant. Aussi les blancs se découvraient-ils du jour au lendemain plus blancs que jamais, baignés, neufs, siestant à l’ombre de leurs villas, grands fauves à la robe fragile. Dans le haut quartier n’habitaient que les blancs qui avaient fait fortune. Pour marquer la mesure surhumaine de la démarche blanche, les rues et les trottoirs du haut du quartier étaient immenses. Un espace orgiaque3, inutile était offert aux pas négligents des puissants au repos. Et dans les avenues glissaient leurs autos caoutchoutées4, suspendues, dans un demi-silence impressionnant. Tout cela était asphalté5, large, bordé de trottoirs plantés d’arbres rares et séparés en deux par des gazons et des parterres de fleurs le long desquels stationnaient les files rutilantes des taxis torpédos6. Arrosées plusieurs fois par jour, vertes, fleuries, ces rues étaient aussi bien entretenues que les allées d’un immense jardin zoologique où les espèces rares des blancs veillaient sur elles-mêmes. Le centre du haut quartier était leur vrai sanctuaire. C’était au centre seulement qu’à l’ombre des tamariniers7s’étalaient les immenses terrasses de leurs cafés. Là, le soir, ils se retrouvaient entre eux. Seuls les garçons de café étaient encore indigènes, mais déguisés en blancs, ils avaient été mis dans des smokings, de même qu’auprès d’eux les palmiers des terrasses étaient en pots. Jusque tard dans la nuit, installés dans des fauteuils en rotin derrière les palmiers et les garçons en pots et en smokings8, on pouvait voir les blancs, suçant pernod9, whisky-soda, ou martel-perrier10, se faire, en harmonie avec le reste, un foie bien colonial.
1. immunité : privilège dont bénéficient les diplomates étrangers, leur famille, le personnel étranger des ambassades et certains membres d’organismes internationaux, les soustrayant à la législation du pays où ils résident.
2. limoneuses : boueuses.
3. orgiaque : l’adjectif est à prendre ici dans le sens de « excessif ».
4. caoutchoutées : garnies de caoutchouc. On fait ici référence aux pneus des voitures qui leur permettent de se déplacer silencieusement et confortablement.
5. asphalté : recouvert de bitume.
6. torpédos : automobiles anciennes décapotables.
7. tamariniers : grands arbres pouvant atteindre vingt mètres de hauteur, poussant dans les régions tropicales.
8. « les palmiers et les garçons en pots et en smokings » : la phrase précédente éclaire le sens. Les indigènes ont été « déguisés » et « mis dans des smokings » comme les palmiers avaient « été mis en pots ».
9. pernod : boisson alcoolisée à base d’anis.
10. martel-perrier : cocktail à base de cognac et d’eau minérale gazeuse.
Michel Houellebecq ne faisait pas partie de mes écrivains préférés, mais j’avoue que ce roman, d’une richesse impressionnante, m’a bouleversé, bien plus que
« La Carte et le Territoire est un formidable autoportrait de Michel Houellebecq, en écrivain, en artiste, en enquêteur, en homme ou en chien, en solitaire qui n’a plus rien à attendre de l’humain passé de la société du spectacle à celle de la consommation. »
« Il est Jed Martin, cet artiste sur lequel s’ouvre le roman, et qui fera fortune en exposant d’abord des reproductions de cartes Michelin représentant la France, puis des peintures de “métiers … Il est Jasselin, dans la dernière partie du livre, le flic chargé de mener l’enquête sur le meurtre sauvage de Michel Houellebecq, qui vit seul avec sa femme, sans enfant, et qui a dû “apprendre” à regarder la mort en face, à scruter ces cadavres en décomposition auxquels il est constamment confronté. Chacun représentant une facette de la démarche de l’écrivain.
Chapitre VII p.183
En effet, un matin du 31 octobre, Jed reçut un mail accompagné d’un
texte sans titre, d’une cinquantaine de pages, qu’il transféra
immédiatement à Marylin et à Franz, tout en s’inquiétant : est-ce que ce
n’était pas trop long ? Celle-ci le rassura immédiatement : au contraire, lui
dit-elle, c’était toujours préférable « d’avoir du volume ».
Même s’il est plutôt considéré aujourd’hui comme une curiosité
historique, ce texte de Houellebecq – le premier de cette importance
consacré à l’oeuvre de Martin – n’en contient pas moins certaines
intuitions intéressantes. Au-delà des variations de thèmes et de
techniques, il affirme pour la première fois l’unité du travail de l’artiste, et
découvre une profonde logique au fait qu’après avoir consacré ses
années de formation à traquer l’essence des produits manufacturés du
monde, il s’intéresse, dans une deuxième partie de sa vie, à leurs
producteurs.
Le regard que Jed Martin porte sur la société de son temps, souligne
Houellebecq, est celui d’un ethnologue bien plus que d’un commentateur
politique. Martin, insiste-t-il, n’a rien d’un artiste engagé, et même si
« L’introduction en bourse de l’action Beate Uhse », une de ses rares
scènes de foule, peut évoquer la période expressionniste, nous sommes
très loin du traitement grinçant, caustique d’un George Grosz ou d’un Otto
Dix. Ses traders en jogging et sweat-shirt à capuche qui acclament avec
une lassitude blasée la grande industrielle du porno allemand sont les
héritiers directs des bourgeois en jaquette qui se croisent,
interminablement, dans les réceptions mises en scène par le Fritz Lang
des Mabuse ; ils sont traités avec le même détachement, la même froideur
objective. Dans ses titres comme dans sa peinture elle-même, Martin est
toujours simple et direct : il décrit le monde, ne s’autorisant que rarement
une notation poétique, un sous-titre servant de commentaire. Il le fait,
pourtant, dans une de ses oeuvres les plus abouties, « Bill Gates et Steve
Jobs s’entretenant du futur de l’informatique », qu’il a choisi de sous-titrer
La conversation de Palo Alto.
Enfoncé dans un siège en osier, Bill Gates écartait largement les bras
en souriant à son interlocuteur. Il était vêtu d’un pantalon de toile, d’une
chemisette kaki à manches courtes, les pieds nus dans des tongs. Ce
n’était plus le Bill Gates en costume bleu marine de l’époque où Microsoft
affermissait sa domination sur le monde, et où lui-même, détrônant le
sultan de Brunei, s’élevait au rang de première fortune mondiale. Ce
n’était pas encore le Bill Gates concerné, douloureux, visitant des
orphelinats sri-lankais ou appelant la communauté internationale à la
vigilance devant la recrudescence de la variole dans les pays de l’Ouest
africain. C’était un Bill Gates intermédiaire, décontracté, manifestement
heureux d’avoir abandonné son poste de chairman de la première
entreprise mondiale de logiciels, un Bill Gates en vacances en somme.
Seules les lunettes à la monture métallique, aux verres fortement
grossissants, pouvaient rappeler son passé de nerd.
Face à lui, Steve Jobs, quoique assis en tailleur sur le canapé de cuir
blanc, semblait paradoxalement une incarnation de l’austérité, du Sorge
traditionnellement associés au capitalisme protestant. Il n’y avait rien de
californien dans la manière dont sa main droite enserrait sa mâchoire
comme pour l’aider dans une réflexion difficile, dans le regard plein
d’incertitude qu’il posait sur son interlocuteur ; et même la chemise
hawaiienne dont Martin l’avait affublé ne parvenait pas à dissiper
l’impression de tristesse générale produite par sa position légèrement
voûtée, par l’expression de désarroi qu’on lisait sur ses traits.
La rencontre, de toute évidence, avait lieu chez Jobs. Mélange de
meubles blancs au design épuré et de tentures ethniques aux couleurs
vives : tout dans la pièce évoquait l’univers esthétique du fondateur
d’Apple, aux antipodes de la débauche de gadgets high-tech, à la limite
de la science-fiction, qui caractérisait selon la légende la maison que le
fondateur de Microsoft s’était fait construire dans la banlieue de Seattle.
Entre les deux hommes, un jeu d’échecs aux pièces artisanales en bois
était posé sur une table basse ; ils venaient d’interrompre la partie dans
une position très défavorable pour les Noirs – c’est-à-dire pour Jobs.
Dans certaines pages de son autobiographie, La Route du futur; Bill
Gates laisse parfois transparaître ce qu’on pourrait considérer comme un
cynisme complet – en particulier dans le passage où il avoue tout uniment
qu’il n’est pas forcément avantageux, pour une entreprise, de proposer les
produits les plus innovants. Le plus souvent il est préférable d’observer ce
que font les entreprises concurrentes (et il fait alors clairement référence,
sans le citer, à son concurrent Apple), de les laisser sortir leurs produits,
affronter les difficultés inhérentes à toute innovation, essuyer les plâtres en
quelque sorte ; puis, dans un deuxième temps, d’inonder le marché en
proposant des copies à bas prix des produits de la concurrence. Ce
cynisme apparent n’est pourtant pas, souligne Houellebecq dans son
texte, la vérité profonde de Gates ; celle-ci s’exprime plutôt dans ces
passages surprenants, et presque touchants, où il réaffirme sa foi dans le
capitalisme, dans la mystérieuse « main invisible » ; sa conviction
absolue, inébranlable, que quels que soient les vicissitudes et les
apparents contre-exemples le marché, au bout du compte, a toujours
raison, le bien du marché s’identifie toujours au bien général. C’est alors
que Bill Gates apparaît, dans sa vérité profonde, comme un être de foi, et
c’est cette foi, cette candeur du capitaliste sincère que Jed Martin a su
rendre en le représentant, les bras largement ouverts, chaleureux et
amical, ses lunettes brillant dans les derniers rayons du soleil couchant sur
l’océan Pacifique. Jobs au contraire, amaigri par la maladie, son visage
soucieux, piqué d’une barbe clairsemée, douloureusement posé sur sa
main droite, évoque un de ces évangélistes itinérants au moment où, se
retrouvant pour la dixième fois peut-être à débiter ses prêches devant une
assistance clairsemée et indifférente, il est tout à coup envahi par le doute.
C’était pourtant Jobs, immobile, affaibli, en position perdante, qui
donnait l’impression d’être le maître du jeu ; tel était, souligne Houellebecq
dans son texte, le profond paradoxe de cette toile. Dans son regard brillait
toujours cette flamme qui n’est pas seulement celle des prédicateurs et
des prophètes, mais aussi celle de ces inventeurs si souvent décrits par
Jules Verne. À regarder plus attentivement la position d’échecs
représentée par Martin, on se rendait compte qu’elle n’était pas
nécessairement perdante ; et que Jobs pouvait, en se lançant dans un
sacrifice de la reine, conclure en trois coups par un audacieux mat foucavalier.
De même on avait l’impression qu’il pouvait, par l’intuition
fulgurante d’un nouveau produit, imposer subitement au marché de
nouvelles normes. Par la baie vitrée derrière les deux hommes on
distinguait un paysage de prairies, d’un vert émeraude presque surréel,
descendant en pente douce jusqu’à une rangée de falaises, où elles
rejoignaient une forêt de conifères. Plus loin l’océan Pacifique déroulait
ses vagues mordorées, interminables. Des petites filles, au loin sur la
pelouse, avaient entamé une partie de frisbee. Le soir tombait,
magnifiquement, dans l’explosion d’un soleil couchant que Martin avait
voulu presque improbable dans sa magnificence orangée, sur la Californie
du Nord, et le soir tombait sur la partie la plus avancée du monde ; c’était
cela aussi, cette tristesse indéfinie des adieux, que l’on pouvait lire dans le
regard de Jobs.
Deux partisans convaincus de l’économie de marché ; deux soutiens
résolus, aussi, du Parti démocrate, et pourtant deux facettes opposées du
capitalisme, aussi différentes entre elles qu’un banquier de Balzac pouvait
l’être d’un ingénieur de Verne. La conversation de Palo Alto, soulignait
Houellebecq en conclusion, était un sous-titre par trop modeste ; c’est
plutôt Une brève histoire du capitalisme que Jed Martin aurait pu intituler
son tableau ; car c’est bien cela qu’il était, en effet.