lundi 30 avril 2018

Jacques Brel : On n'oublie rien








On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout


Ni ces départs ni ces navires
Ni ces voyages qui nous chavirent
De paysages en paysages
Et de visages en visages
Ni tous ces ports ni tous ces bars
Ni tous ces attrape-cafard
Où l'on attend le matin gris
Au cinéma de son whisky


Ni tout cela ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la terre est ronde
On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout


Ni ces jamais ni ces toujours
Ni ces je t'aime ni ces amours
Que l'on poursuit à travers cœurs
De gris en gris de pleurs en pleurs
Ni ces bras blancs d'une seule nuit
Collier de femme pour notre ennui
Que l'on dénoue au petit jour
Par des promesses de retour



Ni tout cela ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la terre est ronde
On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout


Ni même ce temps où j'aurais fait
Mille chansons de mes regrets
Ni même ce temps où mes souvenirs
Prendront mes rides pour un sourire
Ni ce grand lit où mes remords
Ont rendez-vous avec la mort
Ni ce grand lit que je souhaite
A certains jours comme une fête



Ni tout cela ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la terre est ronde
On n'oublie rien de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue c'est tout







dimanche 29 avril 2018

Théâtre de l'absurde - Ionesco : Rhinocéros acte III, scène finale (1959)





 Bérenger est désormais seul sur scène : il est le dernier personnage à ne pas avoir subi la métamorphose. La pièce se clôt donc sur un monologue final de Bérenger, dans sa chambre, où il semble reclus, cerné par les rhinocéros. Ce monologue a commencé un peu plus haut dans la pièce, après le départ de Daisy ; Bérenger compare alors les tableaux représentant des hommes et les têtes de rhinocéros présentes au fond de la scène. Comment, par ce monologue, se dénoue la farce tragique qu'est Rhinocéros?
Les habitants d'une petite ville, atteints de « rhinocérite », se sont tous transformés en rhinocéros ; seul Bérenger, incarnation symbolique du « résistant », refuse cette situation. En proie au doute, il se demande s'il ne va pas à son tour être gagné par l'inquiétant conformisme de la « rhinocérite ».

C’est moi, c’est moi. (Lorsqu’il accroche les tableaux, on s’aperçoit que ceux-ci représentent un vieillard, une grosse femme, un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec les têtes des rhinocéros qui sont devenues très belles. Bérenger s’écarte pour contempler les tableaux.) Je ne suis pas beau, je ne suis pas beau. (Il décroche les tableaux, les jette par terre avec fureur, il va vers la glace.) Ce sont eux qui sont beaux. J’ai eu tort ! Oh ! Comme je voudrais être comme eux. Je n’ai pas de corne, hélas ! Que c’est laid, un front plat. Il m’en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ça viendra peut-être, et je n’aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains sont moites. Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace.) J’ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d’un vert sombre, d’une nudité décente, sans poils, comme la leur ! (Il écoute les barrissements.) Leurs chants ont du charme, un peu âpre, mais un charme certain ! Si je pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter.) Ahh, ahh, brr ! Non, ça n’est pas ça ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! Non, non, ce n’est pas ça, que c’est faible, comme cela manque de vigueur ! Je n’arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les hurlements ne sont pas des barrissements ! Comme j’ai mauvaise conscience, j’aurais dû les suivre à temps. Trop tard maintenant ! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai un rhinocéros, jamais, jamais ! Je ne peux plus changer, je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. J’ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace.) Comme je suis laid ! Malheur à celui qui veut conserver son originalité ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien, tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant :) Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas !

RIDEAU

Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte III, scène finale, 1959,
Éditions Gallimard.


RESUME. La soudaine apparition d’un rhinocéros provoque la stupeur et occupe quelque temps la conversation des passants : Bérenger, plumitif timide et velléitaire, son ami Jean, avec lequel il se dispute, et un chœur de personnages falots que domine un «logicien»; puis, malgré le passage d’un second animal, tout semble rentrer dans l’ordre (Acte I). Le lendemain, au bureau où travaillent Bérenger et Daisy, une jolie dactylo qui a également assisté à l’incident, employés (Dudard et Botard) et chef de service (M. Papillon) se montrent incrédules. Mais, bientôt, apparaît un nouveau pachyderme que Mme Bœuf reconnaît pour son époux, dont elle était venue excuser l’absence (Acte II, premier tableau). Dans sa chambre, Jean se métamorphose lui-même en rhinocéros sous les yeux de Bérenger (Acte II, deuxième tableau). Traumatisé par ce bouleversement, Bérenger, reclus dans sa propre chambre, découvre l’ampleur de l’épidémie de «rhinocérite» à laquelle, un moment, il aspire à succomber. Abandonné de tous, même de Daisy, pourtant éprise de lui, il vacille un instant puis, s’armant d’une carabine, décide de ne pas «capituler» (Acte III).











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samedi 28 avril 2018

Didier Barbelivien : Jean de France







Didier Barbelivien  rend hommage à Jean Ferrat 

Avec cette  belle chanson,

Au bon souvenir de l'immense  chanteur /poète,

 De son vrai nom Jean Tenenbaum, 

 Mort  le 13 mars 2010 à Aubenas 





J'aimais ton rire, j'aimais ta voix qui racontait nos différences
Moustache rapportée de Cuba, de Santiago, quelle importance ?
J'aimais tout ce qui était toi quand tu bousculais nos consciences
Jean Tanenbaum ou Jean Ferrat, tes mots déchiraient nos silences

Et je m'imaginais Créteil quand tu me fredonnais "Ma Môme"
Et ces deux enfants au soleil, Garcia Lorca en son royaume
Moi, j'écoutais "Nuit Et Brouillard", enfermé dans mon innocence
Je comprendrai beaucoup plus tard, nul ne guérit de son enfance

Jean de France, tu chantais pour les gens de France
De la Bretagne à la Provence avec la fierté, l'insolence
De dire ce qu'on ne disait pas, ah
Jean de France, humain jusqu'à la transparence
De ce regard qui fait confiance pour le secret des confidences
Quand tu croisais les yeux d'Elsa, ah

D'ailleurs, que serais-je sans toi ? Et voilà Aragon qui danse
Même Ferré n'en revient pas, de ces mélodies qui s'élancent
Ces Potemkine et Maria unis dans la même souffrance
Mourir au soleil, ça me va ! Mourir debout, quelle élégance !

Jean de France, tu chantais pour les gens de France
De la montagne aux plaines immenses, tu défendais tous ceux qui pensent
Que le malheur n'existe pas, ah

Tu mettais le vide hors-la-loi du simple fait de ta présence
Un jour futur, un jour viendra tou plutôt que l'indifférence
Et tes chansons de ce temps-là ont bercé mon adolescence
Un drapeau rouge au bout des bras, tous ces taureaux quand j'y repense











mercredi 25 avril 2018

Denis Diderot : "Autorité politique" L'Encyclopédie








Autorité Politique

   Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d'en jouir aussitôt qu'il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l'état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d'une autre origine que la nature. Qu'on examine bien et on la fera toujours remonter à l'une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé ; ou le consentement de ceux qui y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l'autorité.
    La puissance qui s'acquiert par la violence n'est qu'une usurpation et ne dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que, si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu'ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l'autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l'autorité la défait alors : c'est la loi du plus fort.
    Quelque fois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature ; c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu'on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l'était arrogée devenant alors prince cesse d'être tyran.
    La puissance, qui vient du consentement des peuples, suppose nécessairement des conditions qui en rendent l'usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l'homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C'est Dieu, dont le pouvoir est, toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu'absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu'ils obéissent à l'un d'eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s'arroge pas les droits du Créateur. Tout autre soumission est le véritable crime de l'idolâtrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n'est qu'une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le coeur et l'esprit ne se soucie guère et qu'il abandonne à l'institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d'un culte civil et politique, ou d'un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l'esprit de leur établissement, qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n'a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie que ce qu'on a voulu qu'il signifiât , mais livrer son coeur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d'une pure créature, en faire l'unique et le dernier motif de ses actions, c'est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef. [...] 
Le prince tient de ses sujets mêmes l'autorité qu'il a sur eux ; et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de l'état […]  Le prince ne peut donc pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la nation, et indépendamment du choix marqué dans le contrat de soumission […] Les conditions de ce pacte sont différentes dans les différents états. Mais partout, la nation est en droit de maintenir envers et contre tous le contrat qu'elle a fait ; aucune puissance ne peut le changer ; et quand il n'a plus lieu, elle rentre dans le droit et dans la pleine liberté d'en passer un nouveau avec qui, et comme il lui plait. C'est ce qui arriverait en France, si par le plus grand des malheurs la famille entière régnante venait à s'éteindre jusque dans ses moindres rejetons ; alors le sceptre et la couronne retourneraient à la nation

L'Encyclopédie - Denis Diderot











L'Encyclopédie



mardi 24 avril 2018

Promenade en Bateau-Mouche (17 avril 2018)


Mes élèves ont de la chance
Ils n'ont pas de souci
Ils se la coulent douce 
Le jour comme la nuit ...





























































samedi 14 avril 2018

mardi 10 avril 2018

Voltaire "Le paradis terrestre est où je suis" Le mondain (1736)





  1. Regrettera qui veut le bon vieux temps,
  2. Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
  3. Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
  4. Et le jardin de nos premiers parents ;à
  5. Moi, je rends grâce à la nature sage
  6. Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
  7. Tant décrié par nos tristes frondeurs :
  8. Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.
  9. J’aime le luxe, et même la mollesse,
  10. Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
  11. La propreté, le goût, les ornements :
  12. Tout honnête homme a de tels sentiments.
  13. Il est bien doux pour mon cœur très immonde
  14. De voir ici l’abondance à la ronde,
  15. Mère des arts et des heureux travaux,
  16. Nous apporter, de sa source féconde,
  17. Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
  18. L’or de la terre et les trésors de l’onde,
  19. Leurs habitants et les peuples de l’air,
  20. Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
  21. le bon temps que ce siècle de fer !
  22. Le superflu, chose très nécessaire,
  23. A réuni l’un et l’autre hémisphère.
  24. Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
  25. Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
  26. S’en vont chercher, par un heureux échange,
  27. De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
  28. Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
  29. Nos vins de France enivrent les sultans ?
  30. Quand la nature était dans son enfance,
  31. Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
  32. Ne connaissant ni le tien ni le mien.
  33. Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,
  34. Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
  35. Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
  36. Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :
  37. Martialo n’est point du siècle d’or.
  38. D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
  39. Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;
  40. La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
  41. Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
  42. Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
  43. Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.
  44. Quel idiot, s’il avait eu pour lors
  45. Quelque bon lit, aurait couché dehors ?
  46. Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,
  47. Que faisais-tu dans les jardins d’Éden ?
  48. Travaillais-tu pour ce sot genre humain ?
  49. Caressais-tu madame Ève, ma mère ?
  50. Avouez-moi que vous aviez tous deux
  51. Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,
  52. La chevelure un peu mal ordonnée,
  53. Le teint bruni, la peau bise et tannée.
  54. Sans propreté l’amour le plus heureux
  55. N’est plus amour, c’est un besoin honteux.
  56. Bientôt lassés de leur belle aventure,
  57. Dessous un chêne ils soupent galamment
  58. Avec de l’eau, du millet, et du gland ;
  59. Le repas fait, ils dorment sur la dure :
  60. Voilà l’état de la pure nature.
  61. Or maintenant voulez-vous, mes amis,
  62. Savoir un peu, dans nos jours tant maudits,
  63. Soit à Paris, soit dans Londres, ou dans Rome,
  64. Quel est le train des jours d’un honnête homme ?
  65. Entrez chez lui : la foule des beaux-arts,
  66. Enfants du goût, se montre à vos regards.
  67. De mille mains l’éclatante industrie
  68. De ces dehors orna la symétrie.
  69. L’heureux pinceau, le superbe dessin
  70. Du doux Corrège et du savant Poussin
  71. Sont encadrés dans l’or d’une bordure ;
  72. C’est Bouchardon qui fit cette figure,
  73. Et cet argent fut poli par Germain.
  74. Des Gobelins l’aiguille et la teinture
  75. Dans ces tapis surpassent la peinture.
  76. Tous ces objets sont vingt fois répétés
  77. Dans des trumeaux tout brillants de clartés.
  78. De ce salon je vois par la fenêtre,
  79. Dans des jardins, des myrtes en berceaux ;
  80. Je vois jaillir les bondissantes eaux.
  81. Mais du logis j’entends sortir le maître :
  82. Un char commode, avec grâces orné,
  83. Par deux chevaux rapidement traîné,
  84. Paraît aux yeux une maison roulante,
  85. Moitié dorée, et moitié transparente :
  86. Nonchalamment je l’y vois promené ;
  87. De deux ressorts la liante souplesse
  88. Sur le pavé le porte avec mollesse.
  89. Il court au bain : les parfums les plus doux
  90. Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.
  91. Le plaisir presse ; il vole au rendez-vous
  92. Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie ;
  93. Il est comblé d’amour et de faveurs.
  94. Il faut se rendre à ce palais magique
  95. Où les beaux vers, la danse, la musique,
  96. L’art de tromper les yeux par les couleurs,
  97. L’art plus heureux de séduire les cœurs,
  98. De cent plaisirs font un plaisir unique.
  99. Il va siffler quelque opéra nouveau,
  100. Ou, malgré lui, court admirer Rameau.
  101. Allons souper. Que ces brillants services,
  102. Que ces ragoûts ont pour moi de délices !
  103. Qu’un cuisinier est un mortel divin !
  104. Chloris, Églé, me versent de leur main
  105. D’un vin d’Aï dont la mousse pressée,
  106. De la bouteille avec force élancée,
  107. Comme un éclair fait voler le bouchon ;
  108. Il part, on rit ; il frappe le plafond.
  109. De ce vin frais l’écume pétillante
  110. De nos Français est l’image brillante.
  111. Le lendemain donne d’autres désirs,
  112. D’autres soupers, et de nouveaux plaisirs.
  113. Or maintenant, monsieur du Télémaque,
  114. Vantez-nous bien votre petite Ithaque,
  115. Votre Salente, et vos murs malheureux,
  116. Où vos Crétois, tristement vertueux,
  117. Pauvres d’effet, et riches d’abstinence,
  118. Manquent de tout pour avoir l’abondance :
  119. J’admire fort votre style flatteur,
  120. Et votre prose, encor qu’un peu traînante ;
  121. Mais, mon ami, je consens de grand cœur
  122. D’être fessé dans vos murs de Salente,
  123. Si je vais là pour chercher mon bonheur.
  124. Et vous, jardin de ce premier bonhomme,
  125. Jardin fameux par le diable et la pomme,
  126. C’est bien en vain que, par l’orgueil séduits,
  127. Huet, Calmet, dans leur savante audace,
  128. Du paradis ont recherché la place :
  129. Le paradis terrestre est où je suis