samedi 7 janvier 2017

Gaël Faye "Petit pays", prix Goncourt des lycéens 2016




Petit Pays, c'est l'histoire de Gaby un gamin de 10 ans, un récit  inspiré du vécu de Gaël Faye, mais il ne s'agit pas d'un récit autobiographique : un roman sur l'enfance, sur l'amitié, sur  la guerre au Rwanda, mais aussi sur l'exil :


 "Il m'obsède ce retour. Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi" (p.13)


"Je pensais être exilé de mon pays. En revenant 

sur les traces de mon passé, j'ai compris que 

j'étais exilé de mon enfance. Ce qui me paraît bien

 plus cruel encore" (p. 213)

Son père est Français, sa mère Tutsi, originaire du Rwanda voisin. Il vit dans un cocon, assez inconscient de la misère alentour et de la menace qui gronde. Gaël Faye raconte avec une jolie plume la vie d'un petit garçon et de sa bande de copains, les « Kinanira Boyz », les après-midi dans leur Q.G, un Combi Volkswagen abandonné sur un terrain vague, les mangues dérobées dans les jardins voisins, les bières Primus tièdes sifflées dans le bouge du coin, les parties de pêche sur la Muha avec des cannes en bambou, de la farine et des asticots comme appâts.



L’écrivain et chanteur franco-rwandais Gaël Faye à Paris, le 13 septembre 2016.








Par les yeux d'un enfant de 10 ans, Gaël Faye entraîne le lecteur entre sourires et larmes dans un pays et une région d'Afrique qui ont été mis à feu et à sang par la folie des hommes. Tour à tour, on s'émerveille de la naïveté de l'enfance et on est effrayé par les horreurs qui peuvent être perpétrées par l'homme. Dans nos petites vies relativement tranquilles, loin des guerres et des pertes humaines, les lecteurs français que nous sommes ont connaissance de ces événements mais ont un rapport distancié avec les faits. L'auteur vient ici nous confronter à la réalité avec force et violence. Jamais gratuitement, toujours avec justesse mais quand la théorie rencontre la réalité, les mots font mal et le jeune Gabriel et ses amis de l'impasse nous touchent en plein coeur.


Petit Pays



Sans sombrer dans un idéalisme béat, la seule projection vers l’avenir possible et envisageable à l’échelle de l’œuvre, est peut-être celle permise par les livres, tels ceux de Mme Economopoulos : « – Un livre peut nous changer ? / Bien sûr un livre peut te changer ! Et même changer ta vie ». Dès l’ouverture du récit, on comprend en effet, dans une sorte de mise en abyme, qu’en dépit des événements et de la violence du réel, la quête identitaire du narrateur a abouti en lui permettant de se construire, singulièrement, par le livre que nous avons sous les yeux : « ‘Je suis un être humain’. Ma réponse les agace. Pourtant, je ne cherche pas à les provoquer ». Petit pays, c’est donc aussi son pays à soi, celui de nos enfances, fussent-elles dévastées, celui de nos révoltes adolescentes contre toutes les assignations identitaires, celui qui contribue à nous sauver quand on décide, non pas de s’y réfugier, mais d’en arpenter à nouveaux les collines et les crevasses – notamment celles de l’Histoire.










Gahugu gatoyi
Gahugu kaniniya 
Warapfunywe ntiwapfuye
Waragowe ntiwagoka
Gahugu gatoyi
Gahugu kaniniya

Une feuille et un stylo apaisent mes délires d'insomniaque

Loin dans mon exil, petit pays d'Afrique des Grands Lacs
Remémorer ma vie naguère avant la guerre
Trimant pour me rappeler mes sensations sans rapatriement
Petit pays je t'envoie cette carte postale
Ma rose, mon pétale, mon cristal, ma terre natale
Ça fait longtemps les jardins de bougainvilliers
Souvenirs renfermés dans la poussière d'un bouquin plié
Sous le soleil, les toits de tôles scintillent
Les paysans défrichent la terre en mettant l'feu sur des brindilles
Voyez mon existence avait bien commencé
J'aimerais recommencer depuis l'début, mais tu sais comment c'est
Et nous voilà perdus dans les rues de Saint-Denis
Avant qu'on soit séniles on ira vivre à Gisenyi
On fera trembler le sol comme les grondements de nos volcans
Alors petit pays, loin de la guerre on s'envole quand ?

[Refrain]

Petit bout d'Afrique perché en altitude
Je doute de mes amours, tu resteras ma certitude
Réputation recouverte d'un linceul
Petit pays, pendant trois mois, tout l'monde t'a laissé seul
J'avoue j'ai plaidé coupable de vous haïr
Quand tous les projecteurs étaient tournés vers le Zaïre
Il fallait reconstruire mon p'tit pays sur des ossements
Des fosses communes et puis nos cauchemars incessants
Petit pays : te faire sourire sera ma rédemption
Je t'offrirai ma vie, à commencer par cette chanson
L'écriture m'a soigné quand je partais en vrille
Seulement laisse-moi pleurer quand arrivera ce maudit mois d'avril
Tu m'as appris le pardon pour que je fasse peau neuve
Petit pays dans l'ombre le diable continue ses manœuvres
Tu veux vivre malgré les cauchemars qui te hantent
Je suis semence d'exil d'un résidu d'étoile filante

[Refrain]

Un soir d'amertume, entre le suicide et le meurtre
J'ai gribouillé ces quelques phrases de la pointe neutre de mon feutre
J'ai passé l'âge des pamphlets quand on s'encanaille
J'connais qu'l'amour et la crainte que celui-ci s'en aille
J'ai rêvé trop longtemps d'silence et d'aurore boréale
À force d'être trop sage j'me suis pendu avec mon auréole
J'ai gribouillé des textes pour m'expliquer mes peines
Bujumbura, t'es ma luciole dans mon errance européenne
Je suis né y'a longtemps un mois d'août
Et depuis dans ma tête c'est tous les jours la saison des doutes
Je me navre et je cherche un havre de paix
Quand l'Afrique se transforme en cadavre
Les époques ça meurt comme les amours
Man j'ai plus de sommeil et je veille comme un zamu
Laissez-moi vivre, parole de misanthrope
Citez m'en un seul de rêve qui soit allé jusqu'au bout du sien propre

[Refrain x3]


Petit pays
Quand tu pleures, je pleure
Quand tu ris, je ris
Quand tu meurs, je meurs
Quand tu vis, je vis
Petit pays, je saigne de tes blessures
Petit pays, je t'aime, ça j'en suis sûr