mardi 15 mars 2016

BAC BLANC - ESSAI BREF : DE L’HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE



À L'HEUREUSE ÉLITE 

DE LA FILIÈRE ESABAC 

DU LYCÉE "E. CAIROLI" DE VARESE

AUX ÂMES SENSIBLES QUI SAVENT LIRE ...




BAC BLANC 

Prova di: 

LINGUA E LETTERATURA FRANCESE


ESSAI BREF


Dopo avere analizzato l’insieme dei documenti, formulate un saggio breve in riferimento al tema posto

DE L’HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE


Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti[1] du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte[2] vers un petit Etat nommé Frankrom , situé entre l'Espagne et l'Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l'imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis[3] et imans[4] de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs[5] connus par leur zèle contre l'esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser[6] ladite infernale invention de l'imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées.
1. Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l'ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
2. Il est à craindre que, parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur l'agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu'à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la sainte doctrine.
3. Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l'imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l'équité et l'amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.
4. Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.
5. Ils pourraient, en augmentant le respect qu'ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu'il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes.
6. Il arriverait sans doute qu'à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence.
A ces causes et autres, pour l'édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s'instruire, nous défendons aux pères et aux mères d'enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité[7] quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l'ancien usage de la Sublime-Porte. [...]
Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l'an 1143 de l'hégire[8].

1Mouphti : chef suprême de la religion ottomane. 2Sublime Porte : empire ottoman. 3Cadi : juge. 4Iman : prêtre. 5Fakir : moine.6Anathémiser : maudire. 7Officialité : tribunal ecclésiastique français correspondant au diocèse sous la direction d'un évêque.8Hégire : début de l'ère musulmane (an 622 de l'ère chrétienne).

Voltaire, De l’horrible danger de la lecture (1756)




“ Tu viens d'incendier la Bibliothèque?         
— Oui. J'ai mis le feu là.                                   
— Mais c'est un crime inouï,                           
Crime commis par toi contre toi-même, infâme         
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !                
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler  
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,                            
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.            
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.              
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'his­toire,
Dans   le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée,
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre? Le livre est là sur la hauteur
Il luit ; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle; plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon,  Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Cor­neille ;
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ,
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître ;
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître[9]
A mesure qu'il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi, comprends donc, et c'est toi qui l'éteins
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien[10].
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
      Je ne sais pas lire. ”

Victor Hugo, L'Année terrible (juin 1871)



Et c'est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fera comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour l'auteur ils pourraient s'appeler “ Conclusions ” et pour le lecteur “ Incitations ”. Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l'auteur finit, et nous voudrions qu'il nous donnât des réponses, quand tout ce qu'il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu'en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d'atteindre. Mais par une loi singulière et d'ailleurs providentielle de l'optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-même), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c'est au moment où ils nous ont dit tout ce qu'ils pouvaient nous dire qu'ils font naître en nous le sentiment qu'ils ne nous ont encore rien dit.

Marcel Proust, "Sur la lecture", préface de Sésame et les lys (1906).


Dans son dernier livre, Primo Levi, rescapé d’Auschwitz, s’interroge, entre autres, sur le rôle de la culture pour le déporté, au camp de concentration.

La culture pouvait donc servir, fût-ce dans quelques cas marginaux, et pour de courtes périodes; elle pouvait embellir quelques heures, établir un lien fugitif avec un camarade, maintenir l'intelligence en vie et en bonne santé. Il est sûr qu'elle ne pouvait servir à s'orienter et comprendre […]. La raison, l'art, la poésie ne nous aident pas à déchiffrer le lieu d'où ils ont été bannis. Dans la vie quotidienne de “ là-bas ”, faite d'un ennui rehaussé d'horreur, il était salutaire de les oublier, comme il était salutaire d'apprendre à oublier la maison et la famille; je ne pense pas à un oubli définitif, dont personne, d'ailleurs, n'est capable, mais à une relégation dans ce grenier de la mémoire où s'accumule le matériel qui encombre et ne sert plus dans la vie de tous les jours.
Les prisonniers incultes étaient plus enclins à cette opération que les cultivés. Ils s'adaptaient avant eux à ce principe : “ ne pas chercher à comprendre ”, qui était le premier mot de la sagesse qu'il fallait apprendre au Lager; chercher à comprendre, là, sur-le-champ, était un effort inutile, même pour les nombreux prisonniers qui venaient d'autres camps ou qui, comme Améry, connaissaient l'histoire, la logique et la morale et avaient en outre l'expérience de la prison et de la torture : un gaspillage d'énergie qu'il aurait été plus utile d'investir dans la lutte quotidienne contre la fatigue et le froid. La logique et la morale empêchaient d'accepter une réalité illogique et immorale : le résultat en était un refus de la réalité qui, en règle générale, conduisait rapidement l'homme cultivé au désespoir, mais les variétés de l'animal humain sont innombrables, et j'ai vu et décrit des hommes à la culture raffinée, en particulier quand ils étaient jeunes, s'en débarrasser, se simplifier et survivre.

Primo Levi, Les Naufragés et les rescapés, “ l’intellectuel à Auschwitz ”, 1986.




Peu de temps après l'arrivée au pouvoir du NSDAP, en 1933, le chancelier Adolf Hitler lance une « action contre l'esprit non allemand », dans le cadre de laquelle se développent des persécutions organisées et systématiques visant les écrivains juifs,marxistes ou pacifistes. Il s'agit en fait d'une initiative organisée et mise en œuvre par des étudiants allemands sous la direction de la NSDStB, association allemande des étudiants nationaux socialistes.Le 10 mai 1933, le mouvement atteint son point culminant, au cours d'une cérémonie savamment mise en scène devant l'opéra de Berlin et dans 21 autres villes allemandes : des dizaines de milliers de livres sont publiquement jetés au bûcher par des étudiants, des enseignants et des membres des instances du parti nazi. Ils constituent les autodafés allemands de 1933