vendredi 18 décembre 2015

Théophile Gautier La rose-thé





III D ESABAC 

Voici notre prochain 

ITINERAIRE CULTUREL 

après 

LE ROMANTISME : 
L'EXPRESSION DU MAL DU SIECLE 



DE LA POESIE ROMANTIQUE
 AU SURREALISME




La rose-thé


La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.

On dirait une rose blanche
Qu'aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d'ardeur.

Son tissu rose et diaphane
De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.

Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
De ses soeurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.

Mais, si votre main qui s'en joue,
A quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
Son frais éclat devient commun.

Il n'est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.

La peau vaut mieux que le pétale,
Et le sang pur d'un noble coeur
Qui sur la jeunesse s'étale,


De tous les roses est vainqueur 

Théophile Gautier Émaux et Camées (1852)


Questions de lecture analytique


1 Relevez dans le poème les notations de couleur. Que nous indiquentelles sur la couleur des roses-thé ?



2 Étudiez les mouvements du poème. Que constatez-vous ?



3 À qui s’adresse ce poème ?



4 La comparaison entre la fleur et la jeune fille est-elle originale ?



5 Question d’ensemble : Dans quelle mesure le poème de Gautier

constitue-t-il un art poétique masqué ? Vous composerez un plan en
trois parties progressives (soit trois axes allant du plus évident au
plus subtil) pour répondre à cette question. Vous justifierez le choix
de chaque titre de vos trois axes.









Réponses

1 On relève un certain nombre de couleurs dans le poème de Gautier.
Tout d’abord, Gautier évoque le carmin et l’incarnat qui correspondent
aux teintes de rouge et rouge foncé. Cependant, s’il cite ces couleurs,
ce n’est pas précisément parce que les roses-thé sont rouges,
mais parce qu’elles portent la trace de ces teintes sur leurs pétales.
Ainsi, l’expression « De carmin à peine est teintée » suggère la délicate
présence du rouge dans la couleur des roses-thé. Les notations
de couleur indiquent également la teinte rosée de la fleur, et l’image
de la seconde strophe fournit un renseignement sur la rose en question.
Elle est en effet d’un rose pâle, « diaphane », c’est-à-dire délicat
et transparent.
2 Gautier procède en deux temps dans son poème. Tout d’abord il
décrit la fleur évoquée dans le titre, avec des termes mélioratifs
et des expressions hyperboliques, telles que « la plus délicate des
roses » qui repose ici sur un superlatif (« la plus »). Le portrait de la
rose repose sur un jeu subtil de comparaisons qui indique la difficulté
à dire précisément la couleur de cette fleur délicate. Les quatre premières
strophes constituent donc une variation poétique et descriptive
sur la rose. Dans ce premier mouvement, l’on constate déjà la pré-
sence de comparaisons et de métaphores qui personnifient la fleur.
Cet aspect est confirmé par le second mouvement du poème, formé
par les trois dernières strophes. L’adversatif « mais » indique en effet
un changement, une nuance dans la signification du poème. Théophile
Gautier change d’objet et compare la fleur au teint d’une jeune
fille. On comprend alors que l’éloge de la rose préparait un compliment
plus fort encore : la beauté sans pareille d’une jeune fille de
dix-sept ans. On a donc ici un double portrait, celui d’une rose et celui
d’une jeune femme.
3 Le poème est adressé à une jeune fille, comme le suggère le système
des pronoms. On relève ainsi les formules « votre main » et « vos dixsept
ans » qui indiquent explicitement l’adresse. Ici Théophile Gautier
se situe dans une tradition pétrarquiste qui consiste à faire l’éloge
d’une jeune femme en faisant le portrait flatteur d’une fleur ou d’un
bel objet. La rose-thé est donc offerte à une inconnue dont on ignore
l’identité. Appliquant les principes du Parnasse, Théophile Gautier
reste assez distant avec l’objet qu’il décrit comme avec le compliment
qu’il cisèle. Il ne fait appel ni au lyrisme ni à l’expression d’une douleur.
L’adresse à la jeune femme reste courtoise et polie, recourant à
une rhétorique simple et tendre.
4 Le choix de Gautier s’inscrit dans une tradition poétique connue
depuis l’Antiquité. Il s’agit de faire le portrait d’une jeune femme en
s’appuyant sur des comparaisons naturelles ou végétales. Ici Gautier
part d’une rose-thé pour dessiner la beauté de la jeune femme. Le
poète italien Pétrarque, mais aussi Pierre de Ronsard, ont employé
© Cned – Académie en ligne
Séquence 6 – FR20 31
cette formule. De façon implicite, Théophile Gautier rend donc hommage
à une tradition littéraire et applique l’un des principes de la
poésie parnassienne qui consiste à vouer un culte à la forme parfaite,
héritée des siècles passés, et notamment de la poésie des XVIe et
XVIIe siècles. Paul Verlaine, dans certains de ses recueils, aura recours
aux mêmes sources d’inspiration.
5 Question d’ensemble : Dans quelle mesure le poème de Gautier
constitue-t-il un art poétique masqué ?
Voici une proposition de plan, qui tout en prenant en compte les diffé-
rents niveaux de lecture, répond à la question posée.
I. Portrait d’une rose
Une première lecture du poème laisse supposer que Gautier décrit une
rose dont la teinte si particulière est pour lui source d’inspiration. Il se
situe d’emblée dans la tradition poétique qui fait des motifs floraux un
lieu commun de la poésie sentimentale et lyrique.
II. Portrait d’une femme
Mais ce portrait de la rose sert de contrepoint au portrait d’une femme,
qui se dessine par comparaison avec la fleur. Là encore, Gautier explore
le motif de la femme et de la rose, de la beauté naturelle comme signe
d’élection. Le portrait qui apparaît est louangeur, et l’on relève de nombreuses
formules mélioratives qui font penser à l’art du blason.
III. Principes du Parnasse
L’on peut finalement lire ce poème dans une perspective métalittéraire
(c’est-à-dire qui dépasse le cadre de la fiction littéraire), et, sous l’apparence
d’un poème d’amour, Gautier applique les principes du Parnasse
et en formule les règles implicitement. En effet, Gautier nous fournit des
clés de lecture pour décrypter sa théorie de l’Art pour l’Art : la poésie
n’a pas d’autre but qu’elle-même, elle est conçue pour créer la beauté
musicale et visuelle.