mardi 30 septembre 2014

Marcel AYME, Les Contes du Chat perché, Les boeufs.










"Mes chers enfants ... 

l'instruction est une bonne chose et ceux qui n'en ont pas

 sont bien à plaindre. Heureusement, vous n'êtes pas dans ce cas-là"





LES BŒUFS





Delphine eut le prix d'excellence et Marinette le prix d'honneur. Le maître embrassa les deux soeurs en prenant bien garde de ne pas salir leurs belles robes, et le sous-préfet, venu tout exprès de la ville dans son uniforme brodé, prononça un discours......- Mes chers enfants, dit-il, l'instruction est une bonne chose et ceux qui n'en ont pas sont bien à plaindre. Heureusement, vous n'êtes pas dans ce cas-là, vous. Par exemple, je vois ici deux petites filles en robes roses, qui ont une jolie couronne dorée sur leurs cheveux blonds. C'est parce qu'elles ont bien travaillé. Aujourd'hui, elles sont récompensées de leur peine, et voyez donc comme c'est agréable pour leurs parents: ils sont aussi fiers que leurs enfants. Ah! ah! Et tenez, moi qui vous parle, je ne voudrais pas avoir l'air de me vanter, mais enfin, si je n'avais pas toujours bien appris mes leçons, je n'aurais pas ma position de sous-préfet, i l'habit d'argent que vous me voyez. Voilà pourquoi il faut bien s'appliquer à l'école, et faire comprendre aux ignorants et aux paresseux que l'instruction est indispensable......Le sous-préfet s'inclina, les écolières chantèrent une petite chanson, et chacun rentra chez soi. En arrivant à la maison, Delphine et Marinette ôtèrent leurs belles robes pour mettre leurs tabliers de tous les jours, mais au lieu de jouer à la paume, ou à saute-mouton, ou à la poupée, ou au loup, ou à la marelle, ou à chat perché, elles se mirent à parler du discours du sous-préfet. Elles trouvaient qu'il était vraiment très bien, ce discours. Même, elles étaient très ennuyées de n'avoir pas sous la main quelqu'un de tout à fait ignorant à qui faire comprendre les bienfaits de l'instruction.



Marcel AYME, Les Contes rouges du Chat perché,
© Ed. Gallimard, coll. Folio junior