vendredi 19 septembre 2014

Histoires de Quais : Le Quai des brumes (Jean Gabin et Michèle Morgan) ... Le Quai des amoureux (Jehan Jonas)








Le Quai des brumes est un film français réalisé par

 Marcel Carné en 1938,

rattaché à la veine du réalisme poétique,

adapté du roman Le Quai des brumes

de Pierre Mac Orlan publié en 1927.

scénario et dialogues de 

  

C'est dans ce film qu'on trouve le célèbre dialogue

entre Jean Gabin (Jean) et Michèle Morgan (Nelly)

qui furent amants à la ville :



  
NELLY. – Embrassez-moi. (il l'embrasse)

JEAN. – Nelly !

NELLY. – Embrasse-moi encore.








 " La musique c'est le credo de ceux qui restent seuls
Et dans ces musiques-là y avait de quoi naviguer"








On l'appelait ainsi pour ses nombreux voyages
Vers des horizons neufs et des pays nouveaux
Sur ses pavés brillaient des soleils de passage
Qui faisaient voir la nuit comme à travers de l'eau
Si je n'étais qu'un témoin, j'en avais pas moins de gueule
Les "Je t'aime", c'était mort mais je savais chanter
La musique c'est le credo de ceux qui restent seuls
Et dans ces musiques-là y avait de quoi naviguer

Le quai des amoureux
Ma mère
Le quai des amoureux
A vu bien des croisières
Mon vieux
A vu bien des croisières
Et des bateaux rester à quai

On l'appelait ainsi pour toutes les découvertes
De ces bateaux fleuris de mille serments d'amour
Partis, fendant la bleue, toutes voiles offertes
Équipages perdus dans un rêve trop court
Combien en aurai-je vu de ces appareillages ?
Du temps que c'était trop vrai pour qu'on ne puisse pas l'avouer
Je les voyais partir, matelots d'un autre âge
Pour n'être plus qu'un point sur l'horizon fermé

Le quai des amoureux
Ma mère
Le quai des amoureux
C'était le bout de ma Terre
Mon vieux
C'était le bout de ma Terre
Et des espoirs qu'on y paumait

On l'appelait ainsi pour ses cœurs en détresse
Et ces retours mouillés de larmes dans les yeux
Si eux ne me disaient rien, je me répétais sans cesse
Je vous disais "au revoir" quand vous me disiez "adieu"
Combien le fond de la mer fait-il danser d'épaves
Qui en perdant leur route ont rencontré la mort ?
Les seuls qui revenaient, étaient beaucoup moins braves
Qu'à leur départ, chantant toutes voiles dehors

Au quai des amoureux
Ma mère
Au quai des amoureux
Il y pleuvait hier
Mon vieux
Il y pleuvait hier
Et le silence m'enveloppait







Brise marine de Stéphane Mallarmé















Introduction
    Le thème de l'ailleurs, du départ, du voyage parcourt le XIXe siècle comme l'obsession de la fuite et le refus répété du réel immédiat. Dans le sillage de Baudelaire, Mallarmé exprime dans un élan lyrique comparable à un envol. Le dégoût du présent et l'appel irrésistible du large, des orages et de l'azur. Construit à partir de l'énumération de ce que refuse le poète, le texte est l'affirmation répétée qui ne conduit pourtant pas à un véritable départ. Le voyage rêvé apparaît ainsi comme la métaphore de l'inspiration. L'élan créateur est un appel vers une réalité autre, à la fois dangereuse et séductrice. Nous montrerons comment dans ce poème le voyage maritime souhaité prend, au-delà de ses justifications personnelles, une justification symbolique.



Texte étudié :
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!

Littérature audio.com


I.] Le mal de vivre

a) Un constat désabusé
« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres » : la culture a épuisé ses ressources et n’a pas apporté de réponses (aspect de l’accompli du passé composé) > l’amour satisfait est amer.
Le mal de vivre à un niveau métaphysique :
    « Un Ennui, désolé par les cruels espoirs ».
    « Ennui » = appel du vide
    « cruels espoirs » = oxymore qui traduit l’espoir renaissant et toujours déçu.

b) Le refus des liens
    - La famille :
        « Ni la jeune femme allaitant son enfant » : la crise de la naissance de l’enfant s’accompagne chez le poète d’un sentiment d’exclusion. > la famille d’aval
        « les vieux jardins reflétés par les yeux » : les racines familiales, le passé, la civilisation. > la famille d’amont.
    - le travail solitaire du poète :
        « ni la clarté déserte de ma lampe » : angoisse de la page blanche, le poète est inhibé par le vide de cette page.
        « O nuits ! » : la douleur dans l’invocation ; le pluriel mesure le temps écoulé stérilement dans l’élaboration poétique.
Cet appel au large est avant tout un besoin de rupture d’où l’indéfinition de la destination, la ligne brisée de l’élan et la suggestion d’un retour au projet poétique.

  
  
  

II.] Quel « Ailleurs » ?

a) Le caractère impérieux de cet appel
  1 /       3        /    2     /               6                 /
« Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres » (vers 2)
Le caractère impérieux de cet appel est traduit par les points d’exclamation, le rythme lentement marqué par les coups et l’irrégularité des mesures. Le rythme croissant montre l’emportement du poète.
« Je partirai! » (vers 9) : le futur exprime le passage à l’acte via la certitude, la conviction.

b) Indignation de « l’ailleurs »
« Fuir! » (vers 2) : l’accent est mis sur le lieu que l’on quitte et non sur la destination.
Les éléments retenus sont frappés eux-aussi d’une dématérialisation. Au vers 2, les oiseaux sont ivres mais d’une ivresse immatérielle (celle de l’écume, poussière d’eau, eau vaporisée). Ils évoluent dans les cieux : ce voyage est davantage vertical. Enfin le navire désigné par le mot anglais steamer met l’accent sur la vapeur : c’est une métonymie expressive

c) La tentation du suicide
       2  /      2    /      2      /      3      /  3   /
« Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots... » (vers 15)
La scansion de ce vers révèle cinq mesures et donc un ralentissement spectaculaire du rythme. L’appel du néant est suggéré par les points de suspension qui interrompent l’évocation du naufrage.
Le dernier vers ferme la boucle : le chant des matelots se propose comme métaphore de la poésie et de ses harmonies ce qui retient le poète au bord du gouffre, c’est aussi ce qui l’y avait amené (la solution poétique).
Le voyage à la manière de Mallarmé n’est ni le voyage sensuel et l’idéal de Baudelaire ni le voyage métaphysique de Rimbaud mais c’est un frôlement du néant à travers une dématérialisation du réel. Ce voyage non réalisé devient une nouvelle source d’inspiration poétique.


   












Aloysius Bertrand "Gaspard de la nuit" (1842) : Un rêve








Buste d'Aloysius Bertrand, poète français (1807-1841), Jardin de l'Arquebuse, Djon

Fantaisies à la manière de Rembrandt et de callot


Avant d'aborder Le Spleen de Paris

Il nous faut introduire Aluysius Bertrand

 qui, selon  Charles Baudelaire,

a été son mentor



"C'est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux
Gaspard de la Nuit, d'Aloysius Bertrand
(un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas
 tous les droits à être appelé fameux?)  que l'idée m'est venue de tenter quelque
 chose d'analogue, et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt 
d'une vie moderne et plus abstraite,  le procédé qu'il avait appliqué à la peinture
 de la vie ancienne, si étrangement pittoresque."



comme il affirme dans   dans la lettre/dédicace 

qu'il écrit pour Arsène Houssaye.












Gustave Courbet (Musée Fabre Monpellier)




Un rêve

                J'ai rêvé tant et plus, mais je n'y entends note.
                Pantagruel, livre III.

     Il était nuit. Ce furent d'abord, - ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, - une abbaye aux murailles lézardées par la lune, - une forêt percée de sentiers tortueux, - et le Morimont(*) grouillant de capes et de chapeaux.

     Ce furent ensuite, - ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, - le glas funèbre d'une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, - des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque fleur le long d'une ramée, - et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnent un criminel au supplice.

     Ce furent enfin, - ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, - un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, - une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d'un chêne, - et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.

     Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.

     Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, - et je poursuivais d'autres songes vers le réveil.

(*) C'est à Dijon, de temps immémorial, la place aux exécutions.


   Aloysius Bertrand - Gaspard de la nuit - Livre III - 1842






Commentaires 












Charles Baudelaire :Moesta et errabunda









Costapiana




Moesta et errabunda

Spleen et Idéal, LXII
Dis-moi ton coeur parfois s’envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l’immonde cité
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la vi
rginité ?
Dis-moi, ton coeur parfois s’envole-t-il, Agathe ?
La mer la vaste mer, console nos labeurs !
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublim
e de berceuse ?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs !
Emporte-moi wagon ! enlève-moi, frégate !
Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs !
- Est-il vrai que parfois le triste coeur d’Agathe
Dise : Loin des remords, des crime
s, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?
Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie,
Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé,
Où dans la volupté pure 
le coeur se noie !
Comme vous êtes loin, paradis parfumé !

Mais le vert paradis des amours enfantines,

Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,
- Mais le vert paradis des amours enfantines,
L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d’une voi
x argentine,

L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?





Commentaire
Moesta et Errabunda (Triste et Vagabonde) est un des derniers poèmes de Spleen et Idéal où sont évoquées des images heureuses. Mais le bonheur en question appartient cependant au passé, et est l’objet d’une remémoration. Celle d’un autre espace et d’un autre temps que le rêve et l’écriture poétique seuls ont encore chance de reconstruire fugitivement.
Similitude entre l’océan et la cité ; l’océan et l’enfance
Les liens tissés dans le poème entre l’océan et la cité, l’océan et l’enfance font de chaque groupe l’image inversée de l’autre. Il est intéressant de chercher comment est produit par le texte le sentiment d’une équivalence : (océan=cité) (océan=enfance) et d’une opposition : (océan=cité)/(océan=enfance)
Les deux "océans" sont distincts : l’un est le "noir océan" : il est l’image de la cité ; l’autre océan est le vrai, celui "dont la splendeur éclate".
L’équivalence entre le "noir océan" et "la cité" est affirmée par la métaphore : "le noir océan de l’immonde cité". L’équivalence entre l’océan et l’enfance est suggérée par l’emploi de mots appartenant au vocabulaire de l’enfance pour parler de l’océan : virginité, le cœur se noie, console, grondeurs, chanteuse, berceuse ; inversement des mots appartenant au lexique de l’océan sont utilisés pour parler de l’enfance : bleu, clair, profond, vert... L’homophonie "mer" "mère" sous-tend (inconsciemment) l’assimilation de l’océan à l’enfance : on peut ressentir, en effet, comme le même appel vers une présence maternelle, les termes "console", "berceuse", "chanteuse" (qui s’appliquent à l’océan) et les "cris plaintifs", la "voix argentine" (qui concernent l’enfance).
Ces relations d’équivalence reposent sur une réaction affective analogue : le noir océan qu’est la cité est rejeté dans un même sentiment de dégoût et de lassitude. L’océan et l’enfance sont unis dans un même désir : quitter la ville pour l’océan ("Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate ! ") afin de retrouver l’enfance ou... plus loin que l’enfance, le paradis perdu...
L’équivalence entre l’océan et l’enfance ne résulte pas d’une comparaison établissant des éléments de ressemblance rationnellement formulables. Elle ne résulte ni d’un raisonnement logique, ni même, à proprement parler, d’un raisonnement analogique. Elle résulte du fait que tous deux sont l’objet d’un même désir : le désir d’être loin, ailleurs, de quitter "l’ici et maintenant" pour le bonheur et la sécurité d’autrefois. C’est une équivalence affective, soutenue par l’équivalence des signifiants (mer/mère) qui se profile à l’arrière-plan. Cette interprétation semble confirmée par le soin de distinguer par "rauque" le chant de la mer, implicitement comparé à celui de la mère berçant son enfant, mais parfois le grondant. Mais ils restent unis dans un même désir : celui d’être loin, dans l’espace et dans le temps.





Charles Baudelaire "Le Mauvais Vitrier"








Cette "espèce d'énergie qui jaillit de l'ennui et de la rêverie"
   Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l'action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables.
   Tel qui, craignant de trouver chez son concierge une nouvelle chagrinante, rôde lâchement une heure devant sa porte sans oser rentrer, tel qui garde quinze jours une lettre sans la décacheter, ou ne se résigne qu'au bout de six mois à opérer une démarche nécessaire depuis un an, se sentent quelquefois brusquement précipités vers l'action par une force irrésistible, comme la flèche d'un arc. Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d'où vient si subitement une si folle énergie à ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d'accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent à une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent même les plus dangereux.
   Un de mes amis, le plus inoffensif rêveur qui ait existé, a mis une fois le feu à une forêt pour voir, disait-il, si le feu prenait avec autant de facilité qu'on l'affirme généralement. Dix fois de suite, l'expérience manqua; mais, à la onzième, elle réussit beaucoup trop bien.
   Un autre allumera un cigare à côté d'un tonneau de poudre, pour voir, pour savoir, pour tenter la destinée, pour se contraindre lui-même à faire preuve d'énergie, pour faire le joueur, pour connaître les plaisirs de l'anxiété, pour rien, par caprice, par désoeuvrement.
   C'est une espèce d'énergie qui jaillit de l'ennui et de la rêverie; et ceux en qui elle se manifeste si inopinément sont, en général, comme je l'ai dit, les plus indolents et les plus rêveurs des êtres.
   Un autre, timide à ce point qu'il baisse les yeux même devant les regards des hommes, à ce point qu'il lui faut rassembler toute sa pauvre volonté pour entrer dans un café ou passer devant le bureau d'un théâtre, où les contrôleurs lui paraissent investis de la majesté de Minos, d'Eaque et de Rhadamante, sautera brusquement au cou d'un vieillard qui passe à côté de lui et l'embrassera avec enthousiasme devant la foule étonnée.
   - Pourquoi? Parce que... parce que cette physionomie lui était irrésistiblement sympathique? Peut-être; mais il est plus légitime de supposer que lui-même il ne sait pas pourquoi.
   J'ai été plus d'une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent à croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, à notre insu, leurs plus absurdes volontés.
   Un matin je m'étais levé maussade, triste, fatigué d'oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d'éclat; et j'ouvris la fenêtre, hélas!
   (Observez, je vous prie, que l'esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n'est pas le résultat d'un travail ou d'une combinaison, mais d'une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l'ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d'actions dangereuses ou inconvenantes.)
   La première personne que j'aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu'à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d'ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l'égard de ce pauvre homme d'une haine aussi soudaine que despotique.
   "- Hé! hé!" et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l'escalier fort étroit, l'homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise.
   Enfin il parut: j'examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis: "Comment? vous n'avez pas de verres de couleur? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis? Impudent que vous êtes! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n'avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau!" Et je le poussai vivement vers l'escalier, où il trébucha en grognant.
   Je m'approchai du balcon et je me saisis d'un petit pot de fleurs, et quand l'homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d'un palais de cristal crevé par la foudre.
   Et, ivre de ma folie, le lui criai furieusement: "La vie en beau! la vie en beau!"
   Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance?

Et pour approfondir...
Baudelaire - Le mauvais vitrier - lu par André Dussolier .







"L’Angoisse" Poèmes Saturniens (1866), de Paul Verlaine Commentaire de Alice Negrini










Prova di: LINGUA E LETTERATURA FRANCESE

a)Analisi di un testo
Dopo avere letto il testo rispondete alle domande e elaborate una riflessione personale sul tema proposto.

L’Angoisse

Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants.

Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales
Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,
Et je vois du même oeil les bons et les méchants.

Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie
Toute pensée, et quant à la vieille ironie,
L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick (1) perdu jouet du flux et du reflux (2),
Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.

1)Voilier, Brick-goëlette,  Navire à voiles à deux mâts. 2) marée   


PAUL VERLAINE , « L’Angoisse », Poèmes Saturniens (1866)




COMPREHENSION

1) Etudiez les rimes et  précisez leur   valeur dans les quatrains.

2)Essayez d’expliquer l’utilisation  du verbe « appareille ».

INTERPRETATION

1)Essayez de mettre en lumière les divers moyens par lesquels Verlaine exprime les aspects de la tentation nihiliste à  laquelle il était alors en proie.

2) « Je ris de l’Art » , pourtant,  il a plus tard assez bien souligné dans un poème, qui est une sorte de manifeste du symbolisme,  le rôle de l’Art  : présentez sa conception de la poésie.


REFLEXION PERSONNELLE

Mal du siècle,  spleen, angoisse :Différentes façons de concevoir la même douleur ?
Développez  une réflexion personnelle sur ce thème, en faisant référence à d’autres œuvres littéraires que vous avez lues (300 mots environ).



  COMPREHENSION

  1. Les rimes utilisées dans les quatrains par Verlaine sont structurées avec le schéma “ABBA ABBA”, à savoir rimes embrassées. Cette utilisation a peut-être la fonction de montrer une clôture du poète en soi même qui n'est plus capable de se laisser émouvoir des spectacles de la nature et qui ne trouve ni dans l'Art ni dans l'Homme ni dans la littérature classique ni dans la spiritualité chrétienne une raison de vie ou, du  moins, d'inspiration.
  2. Le verbe “appareille” signifie “se prépare” et dans ce cas l'âme du poète doit être prête aux “affreux naufrages”. S'appareiller est donc une nécessité pour Verlaine qui est déchiré entre la lassitude de vivre une vie vide qui cherche repaire dans l'alcool (comme nous savons à travers sa biographie) et la peur de la mort. C'est ainsi qu'il affirme d'être pareil “au brick perdu jouet du flux et du reflux”, comme ce navire donc il s'abandonne aux événements en renonçant à vivre: il est prêt à la mort.

INTERPRETATION

  1. Verlaine est en proie à une tentation nihiliste qu'il exprime avant tout dans une déclaration de l'impossibilité de la Nature d'engendrer en lui des sensations physiques, puis avec “je ris” du seconde quatrain il montre une prise de distance de l'Art, de l'Homme, de la perfection littéraire classique et de l'Église. Le premier tercet contient la plus forte affirmation du refus de croire en quelque chose: “je ne crois pas en Dieu”, “je renie toute pensée” et il appelle l'Amour “vieille ironie” de laquelle il ne veut plus sentir parler. Enfin Verlaine dit, sans le dire, qu'il ne croit plus aussi dans sa vie, dans son existence.
  2. La poésie est dans la conception de Verlaine le moyen d'exprimer un rêve, elle est donc toujours suggérée et n'a jamais de limites précises. Elle est un réseau de symboles, riche des synesthésies, est semblable à la peinture impressionniste pour son manque de précision et des détails aussi bien que de sa capacité de créer dans le lecteur des émotions. Cette conception est à la base du courant symboliste dont le plus célèbre poète italien est Pascoli. On peut dire enfin en citant Baudelaire (Correspondances) que pour Verlaine la poésie est une sorte de toile où “les parfums, les couleurs, les sons se répondent”.

REFLEXION PERSONNELLE

Mal du siècle, spleen, angoisse: différents mots qui expriment la même “maladie”.

On recherche des paroles toujours plus spécifiques, détaillées et différentes pour définir mieux quelque chose d'indéfini qui nous fait peur. Chateaubriand dit “j'ai le spleen, tristesse physique, véritable maladie”, donc il utilise le mot “spleen” pour exprimer son mal du siècle en confirmant qu'entre les deux expressions il n'y a pas une nette différence. Le mal du siècle, qui touche beaucoup de poètes et écrivains de l'époque de Chateaubriand, est une sorte d'ennui, un vague à l'âme qui détache le sujet de son temps et de sa génération. Le spleen, mot utilisé pour la première fois par Diderot (“spline”), dérive du grec “σπλην,ος”, à savoir “rate” qui est l'organe considéré comme le siège des humeurs noires et qui s'exprime pour Baudelaire comme le dégoût de toute chose et qui s'oppose à l'idéal. L'angoisse, puis, est le peur qui naît quand la situation présente n'est plus conciliable avec l'esprit du poète, pour Verlaine, pour le sujet en général, pour Kierkegaard, et quand le futur est une chance.

En conclusion ou peut dire que ce sentiment de douleur mélangé à la sensation de solitude envers le monde, la société où le poète ne se reconnaît plus est une condition fondamentale pour écrire et pour exprimer son intériorité, conception chère à Musset dans “Le pélican”.